Tatiana Julien carbonise le Pavillon Noir
Lorsque vous entrez dans la salle spectacle, les spectateurs sont disposés de part et d'autre de la scène, de façon bipolaire.
Sur le sol, dans un coin, une petite fille mince fait des étirements.
Puis les lumières s'éteignent. La musique est électro. La jeune fille se lève et se change tranquillement. Tous les yeux sont sur elle. Elle enfile un costume holographique moulant et entre en scène, sur la chanson "désenchantée" de Mylène Farmer.
La fille chante en suivant la piste de fond. Elle mime et vit chaque mot de la chanson, chaque souffle de la chanteuse.
C'est comique et plutôt audacieux . Pourquoi ne chante-t-elle pas avec autant d'assurance sa propre chanson ?
En 1991, la chanson a connu un énorme succès, la chanteuse est devenu une idole pour les gays et les lesbiennes.
À la fin de son solo, Tatiana accepte une salve d'applaudissements, sourit et s'incline devant le public. La musique électrique, dub step, shuffle dance, se met en marche.
Elle bat des pieds en rythme et se précipite sur la scène. On se demande d'où elle puise toute cette énergie... Les lumières stroboscopiques vous aveuglent, le rythme devient plus agressif, on a l'impression que ses jambes ne peuvent plus suivre. Soudain, tout s'arrête. Il y a un bourdonnement dans les oreilles à cause du silence et... Tatiana quitte la scène. Les gens sont confus. La fille a-t-elle eu une crise de nerfs ? Cela fait-il partie du programme ? Comment peut-elle quitter la scène juste comme ça ? Y aura-t-il un spectacle ?
Les minutes semblent s'éterniser... Les gens chuchotent interloqués, mais attendent patiemment.
Puis on entend un brouhaha, les voix de personnes qui crient et protestent sont de plus en plus fortes.
Tatiana réapparaît sur la scène déguisée en boxeur, en portant même une protection sur les dents. Contre quoi se bat elle ?
Elle court sur la scène, elle boxe. Le bourdonnement de la révolte est remplacé par un rythme électrique..
D'un coup tout s'arrête et nous entendons le discours d'André Malraux, porté à nouveau par Tatiana. Elle se tient devant nous, faisant des gestes, façonnant chaque mot des lèvres, elle dévisage les spectateurs, elle se met entre eux. Elle continue à dire.
Et puis la voix masculine qu'elle prétendait être la sienne s'arrête. Nous continuons à entendre les mots du discours d'André Malraux, mais avec sa voix.
Elle se tient devant nous et semble essayer de nous transmettre une message.
Sa voix féminine authentique, le corps fragile, la lumière. C'est très émouvant. Elle prend une bouteille d'eau, continuant à citer Malraux, et se verse l'eau sur les yeux.
Elle traverse la scène et regarde les visages des gens tout en continuant à parler. Les gens paraissent gênés ou ne le montrent pas. Soudain, elle commence à se déshabiller, exposant son corps déjà frêle à la vue de tous. Les gens sont en état de choc. Personne ne s'attendait à une telle honnêteté et une telle franchise.
La façon dont elle parle vous donne envie de pleurer. Vous regardez ce sur quoi vous avez l'habitude de fermer les yeux ou ce que vous avez l'habitude d'embellir. Une fille complètement nue s'avance vers le public et le serre dans ses bras. Certains lui tendent la main, d'autres lui tapent dans le dos par politesse. Que se passe-t-il ? Cela peut-il vraiment être vrai ?
Avec ce solo, Tatiana trace clairement une ligne entre les performances plus formelles et son expressionnisme intime.
On entend les sons de la musique hippie, les mots disent "le corps est sacré" , il n'y a pas de honte.
Tatiana prend une bouteille d'eau et s'en verse sur elle-même comme pour se purifier. Elle s'avance vers la foule et s'agenouille à ses pieds. Sans honte et sans une once de vulgarité, elle montre son corps.
Comme pour dire que ce que vous craignez est votre nature, vous êtes une âme pure, un esprit pur, nous sommes tous un absolu, nous sommes tous connectés. Vous vous êtes encadrés vous-mêmes alors que nous ne sommes tous qu'une manifestation d'amour. Notre corps est une manifestation d'amour, il nous est donné pour le manifester, il n'y a pas de honte.
Vous la regardez et vous réalisez que son corps vous dit ce que vous ressentez depuis longtemps mais que vous n'oseriez jamais exprimer. On a tellement peur de ce que les autres vont penser et d'être jugés. Vous réalisez que vous avez oublié votre but initial et que vous avez honte de votre nudité, même habillé, et que vous vous comparez constamment aux autres. Avec son solo, Tatiana touche les fibres les plus profondes de l'âme humaine, vous ressentez une proximité avec elle à un niveau que vous ne connaissez même pas avec vos vieux amis. Comme si vous aviez vécu une vie entière avec elle et plus encore.
Restant nue, elle prend un masque chirurgical sur le mur et le met , tout en continuant à se déplacer sur la scène.
Il couvre son nez et sa bouche. Il y a une ironie qui touche aux questions d'hystérie de masse pendant une pandémie. Le visage masqué et le corps nu montrent l'absurdité des règles et celle de la nouvelle "normalité" de nos jours.
Lorsque la musique s'arrête, elle met son peignoir noir, s'incline devant les spectateurs et sourit.
Les gens restent assis, déconcertés, confus et choqués.
Ils s'habillent vite, gardent un masque sur leur visage et rentrent chez eux. Un autre spectacle comme un nouveau trophée sur leur liste de spectacles, un bon divertissement.
Merci.
Passez une bonne soirée.
Au revoir.
Olga Zabashta
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