Denis bonjour, dans "les Saisons" tu travailles pour la première fois avec Wlad Znorko. Comment s’est passée votre rencontre, pourquoi lui ?
Ca s’est passé très simplement, en deux étapes. Je l’ai rencontré ici, au Toursky, il y a maintenant deux ans, lorsque je jouais La Nuit juste avant les forets de Koltès. Je ne le connaissais pas, je n’avais jamais rien vu de son boulot. J’avais vaguement entendu son nom qui n’est pas commun. J’avais entendu Bernard Sobel parler de lui, Pierre Pradinas, différents échos. Je me disais, "Znorko? Whaoo! super" ! Nous avons mangé au Toursky après le spectacle avec d’autres, c'était très sympa. Il me parle à ce moment-là de Maurice Pons que je ne connaissais pas non plus. Je demande à voir, un peu plus tard il m’a envoyé le bouquin de Maurice, "Les Saisons", avec la proposition de jouer Siméon. Ce livre m’a enthousiasmé. C’était une évidence, j’ai dit oui. Nous nous sommes revus, nous avons discuté un peu, mais d’entrée j’étais partant pour cette aventure. C’est vraiment le livre qui a été déterminant. On s’est très peu connu ou vu avant d’entamer le travail. J’ai souvent tendance à réagir comme ça, instinctivement, par des rencontres, en me disant "c’est le moment", c’est une opportunité de rencontrer d’autres gens, de voir une nouvelle manière de travailler, de participer à un ouvrage.
Wlad Snorko, Denis Lavant
Le travail du metteur en scène est-il déterminant, ou c’est plus la rencontre avec le personnage, le livre…
Ça m’intéresse bien sûr, mais je ne peux pas toujours voir. Parfois ça m’importe peu, en fait. Je vais en confiance à partir du moment où quelque chose s’est passé. Un échange de regard, de paroles, ça tient à peu de choses. Un désir d’aller plus loin dans une relation. Ça m’arrive très souvent, parfois même avec de jeunes réalisateurs. Par exemple, avant de tourner avec Claire Denis "Beau Travail", je n’avais jamais vu ce qu’elle avait tourné. A partir du moment où j’accepte une rencontre, ce qui est important c'est d’être éveillé à ce qui se fait, ne pas avoir de références. Je n’ai pas la nécessité de me mettre en confiance en disant "ah oui, ils ont fait ça et c’est sûrement bien". C‘est plutôt une curiosité et après on voit. Souvent, quand j’y vais comme ça, c’est bien, c’est positif, parce que forcement je n’ai pas d’arrières pensées, il n’y a rien de prémédité dans la rencontre. C’est juste un homme, un bouquin, une compagnie. Souvent c’est parce qu’il y a tous ces éléments hasardeux que je suis attiré ou poussé vers cette aventure. Là en l’occurrence, la position du personnage de Siméon dans le livre de Maurice Pons est celle d’un homme qui débarque dans une petite société, un petit village. Il est étranger et il vient tenter de s’intégrer à d’autres gens pour écrire, c’est ce qu’il souhaiterait faire.
Il n’y arrive pas finalement. Ma situation en tant que comédien vis à vis de l’équipe de Znorko était exactement la même.
C’est difficile de s’intégrer à un équipe, à des gens qui pour certains ont travaillé depuis très longtemps ensemble, qui se connaissent, qui ont une méthode de travail, une complicité ancienne. C’était quelque chose que j’appréhendais beaucoup et qui m’excitais énormément en même temps.
Le désir de travail se révèle toujours un peu ça de toutes les façons. C’est être poussé en avant vers un projet et en même temps être dans un certain effroi de l’inconnu, de la nouveauté. Ne pas savoir si on va être à la hauteur en participant à ce nouveau jeu avec d’autres.
A la création, y a-t-il eu la même rencontre qu’au moment du choix de la pièce ?
Vous parlez des répétitions, de la création. C’est autre chose. On se retrouve dans la réalité du boulot, de l’expérimentation. Mais en fait ça a gardé la même qualité d’humeur que la rencontre. Wlad a une manière de travailler très particulière que j’ai vraiment appréciée, justement parce que je ne savais pas du tout dans quel théâtre j’allais me trouver. Je savais que c’était un théâtre qui reposait beaucoup sur les images, où il y avait une implication physique, mais je n’en savais pas plus. Pour moi c’était abstrait. Avant le début des répétitions je me demandais si je devais relire le bouquin que j’avais lu une fois, il m’avais tellement imprimé, tellement frappé que j’avais encore des images, des sentiments. Pas vraiment des souvenirs, pas de détails, mais une impression très forte de Siméon, de l’état d’esprit de l’œuvre. Je me disais, "est-ce que je le relis, ou est-ce que j’attends de voir?". Finalement nous avons commencé à répéter sans avoir relu le bouquin. Je n'en avais pas envie, ça me rebutais. Et puis, je ne savais pas s’il y allait y avoir une adaptation. A part quand j’ai travaillé avec des chorégraphes j’ai l’habitude de réagir au texte, le plus souvent de théâtre. Le matériel de base est généralement le texte qu’on va proférer ensuite, et là, en fait, il n’y avait rien de tout ça. C’était un peu paniquant au départ. Je me suis rendu compte que j’avais bien fait de ne pas relire le bouquin, parce qu’en fait on s’est engagé sur un travail qui au premier abord était très loin du livre. IL faisait complètement fi du détail, pas des personnages, mais de la réalité du livre. J’ai trouvé ça très intéressant comme boulot parce que c’était s’éloigner de la ressemblance. Éviter la ressemblance absolue des personnages, de la narration et de la rhétorique du livre, mais pour mieux s’imprégner de son esprit. Ne serais ce qu’un détail idiot, Siméon dans le bouquin a des sandales. J’avais pris des sandales, comme ça m’arrive. Moi je travaille, mais sans travailler. Je travaille dans l'imaginaire, presque passivement. Tout l’été, j’étais dans les calanques à Méjan, je les ai arpentées avec des sandales en me disant vaguement, pas officiellement, "je vais patiner ces sandales pour ensuite faire Siméon". Eh bien, pas du tout, nous avons pris des bottines à fermeture éclair pour jouer Siméon. Même le choix des costumes, les silhouettes des personnages nous les avons créés comme ça en piochant dans des fonds de costumes, dans des éléments de répétition, en se forgeant chacun une personnalité.
"Les Saisons" Wlad Snorko
Ce que j’ai trouvé admirable dans le boulot, c’est la manière dont Wlad privilégie absolument l’humanité et les rapports humains, les rapports au quotidien des comédiens, l’alchimie du groupe et comment en tirer la substance pour faire exister quelque chose sur le plateau.
C’est une manière d’envisager le travail théâtral qui est très rare, je ne le rencontre pratiquement jamais, à quelques exceptions près. A partir de là, étant totalement novice, il m'a fallu rentrer en rapport de jeu et de vie avec tous ces comédiens que je n’avais jamais vu, essayer de comprendre, d’intégrer ou de réagir à cette dynamique de jeu, d’esprit, à ce décor, à cette lumière. Ce qui m’a impressionné c’est d’abord, en voyant le décor dès le début des répétitions, la cabane, cette passerelle, l’éclairage de Richard, la profondeur de champ. C’était comme du cinéma, c’est drôle. Après, avec l’ambiance musicale, la partition du spectacle, c’était un grand plaisir de travailler.
Il y avait des humeurs différentes, j’ai saisi au fur et à mesure à partir d’éléments ou de paroles de Wlad qu’il y avait une dimension de jeu où il y avait la possibilité de s’exprimer dans un ordre chorégraphique, sinon abstrait. Il y avait une possibilité d’expressivité très large physiquement et en même temps fondamentalement viscérale, pour tenter de faire jaillir une humanité de tous les jours, du Rex bar du coin, aussi bien que de n’importe où dans les pays de l’Est. Ca m’a frappé. Deux spectatrices à la sortie du spectacle m’ont dit : "C’est bien, mais au début quand la parole sortait c’était en français et ça nous a fait un décalage". Elles avaient vu souvent des spectacles de Znorko où il employait une sorte de sabir serbo-croate, un langage qui décalait forcément le spectacle dans un univers post-soviétique de l’est, brusquement elles avaient été ébranlées. "Mais non", leur ai-je dit, "justement, c’est bien de passer ce cap là, ce n’est pas simplement une population exotique dans un ailleurs qu’on imagine, qu’on sait là mais qui ne nous concerne pas complètement, ce sont des personnages qui existent là autour de nous, dans la banlieue de Marseille ou de Paris, à Tombouctou, chez les Inuits ou en Irlande, c’est un noyau universel d’humanité.
Dans ce travail de construction du personnage, cela ne t'a pas un peu frustré qu’il y ait si peu de texte ?
Pas du tout, ça ne me gêne jamais quand il n’y a pas de textes. Je sais que ca gène d’autres comédiens. On a une partition qui paraît sure, sur laquelle on peut s’entraîner, travailler chez soi, dans la rue, ça peu être rassurant. Là il y a effectivement quelque chose d'impalpable. Ça n'a jamais été un soucis pour moi car j’ai d’abord fait du théâtre sans texte: j’ai commencé par le mime. Je n’ai jamais eu de facilité avec l’expression orale. Avec l’expression physique oui, c’était ma première expression. J’ai fait de l’acrobatie, des fantaisies comme ça, des choses pour me faire remarquer dans la rue, quand j’étais ado j’ai commencé le mime dans une MJC en banlieue. Raconter des petites histoires muettes, c’était ma première façon de m’exprimer. Le texte est venu après, mais pas très facilement, ça a mis du temps pour que j’atteigne la possibilité de jongler avec les mots comme avec les balles. Comme de faire des pirouettes ou des choses comme ça.
En même temps je suis toujours resté dans un rapport physique à l’expressivité, à l’émotion, ca m’importe de pouvoir joindre les deux.
Dans ce cas, avec le Kosmos, je me retrouve dans une forme d’expression qui me convient beaucoup comme à une époque où je faisais de la Comedia dell’arte, où il y a un jeu stylisé qui demande une grande sincérité pour exister, entre le plus artificiel du bateleur et le plus sincère du jeu de cinéma. C’est ça qui est passionnant.
Viens tu du cirque ?
Non. C’est drôle, c’est une information erronée qui perdure, bien que je la réfute à chaque fois. Je ne suis pas un enfant de la balle, je ne suis pas circassien bien que j’ai hésité à un moment donné à m’engager. Quand je me suis déterminé à être comédien, baladin, je me suis demandé quelle formation faire après le lycée, soit l’école du cirque soit le conservatoire. Finalement j’ai opté pour le théâtre classique, parce que d’une certaine manière l’expérimentation du cirque je l’avais faite moi même. Quand j’étais môme je suis allé au cirque et j’ai voulu faire tout ce que j’avais vu qui m’avait épaté. A part la voltige à cheval, je n'en avais pas les moyens. Mais je jonglais, je marchais sur les mains, je faisais du fil, du funambulisme, du monocycle. Toutes les acrobaties au sol, les équilibre.
Tout ce qui était à ma portée je l’ai fait tout seul, chez moi, en banlieue. Je me suis entraîné. Je me suis dis "ça c’est un truc que j’ai, que je peux gérer, prolonger, continuer". C’est ce que j’ai fait, car dans ce domaine là il y a forcément des rencontres avec d’autres jongleurs, sans faire partie d’un cirque. Il vous montrent une passe, tu reprends tes balles et tu t‘entraînes pour faire la même. C’est quelque chose que je n’ai jamais mis en avant pour faire des numéros, mais c’est une pure jubilation. Du reste, c’est un truc que j’aime bien partager, nous nous sommes tous mis à jongler dans la compagnie. Il y a beaucoup d’attente dans le boulot et le jonglage c’est un truc que je pratique. J’ai toujours des balles sur moi, ca peux servir dans les théâtres ou sur les tournages, comme échauffement, mais pas de manière velléitaire, pas pour s’entraîner, c’est pour s’amuser. C’est un pur plaisir de jongler, il y a l'enjeu de tenir des balles en l’air, c’est magique. Je l’ai beaucoup pratiqué au cinéma parce qu’il y a beaucoup d’attente. Lire un bouquin non, parce que tu dois rester concentré sur un personnage, et le jonglage te laisse éveillé physiquement et mentalement. En même temps ça ne distrait pas, c’est abstrait. J’ai beaucoup jonglé ces temps-ci.
Dernièrement, tu as fais plus de théâtre que de cinéma ?
Oui, j’en ai toujours fait plus. J’ai été comédien à cause du théâtre, le cinéma est venu après, comme un plus que j’ai apprécié, beaucoup pour les gens avec qui j’ai tourné, mais je ne suis pas forcément en demande. Je ne suis pas accro à tourner, laisser une trace. Pour moi, le cinéma c’est passionnant, d’autant qu’il y a une trace, c'est à chaque fois un choix encore plus délicat. Je ne peux pas tourner n’importe quoi avec n’importe qui. Je me suis engagé au cinéma avec quelqu’un qui est un tellement grand poète, visionnaire et réalisateur, léos Carax, qu’après j'ai forcément une exigence rare.
De toutes les façons, une rencontre au théâtre ou au cinéma, c’est d’abord une rencontre avec une histoire, un tableau, une œuvre, un maître d’œuvre, un être humain, un créateur, un démiurge, qu'on appelle ça comme on veux, mais quelqu'un avec qui il se passe quelque chose.
S’il ne se passe rien je ne tiens pas à jouer. Le théâtre c’est différent, il y a sur scène une autonomie, une responsabilité du comédien importante. La représentation appartient à ceux qui sont sur le plateau avec le public, chaque jour. Au cinéma, c’est très différent, le film n’appartient pas aux comédiens. Le comédien est utilisé, il donne quelque chose ou il se vend, il vend son émotion, il la donne ou il l’offre, ou il la présente aux regards d’un réalisateur qui la prend et façonne quelque chose avec ces pièces là. Il en fait son œuvre. Le comédien est détaché de cela. Et puis il y a le décalage entre le moment où on a filmé et le moment où ça joue. Tandis qu’au théâtre le comédien est seul maître à bord à un moment donné. Et donc encore plus qu’au théâtre, au cinéma, c’est vraiment un rapport de confiance absolue. Je me remets entre les mains d’un regard.
Et puis, il se trouve que dans la manière dont je me suis manifesté au cinéma, souvent les gens qui viennent vers moi sont ceux qui font un cinéma d’auteur, un cinéma complètement marginal. Comme ce que j’avais tourné à Montpellier avec Jean Michel carré, au Corral, le lieux de vie de Claude Sigala, chez les autistes. C’est sûr que par rapport à l’industrie du cinéma français, je ne me sens pas du tout intégré et c’est tant mieux. Le cinéma c’est forcément une passion, ’être scruté par une caméra c'est assez dingue, on y prend goût, on devient accro. Il y a une aliénation possible au cinéma, il faut s’en méfier, sans blagues. Avoir besoin d’être filmé, même par un appareil à photo et être dans ce rapport là, et puis la notoriété, l’image médiatique est beaucoup plus importante, elle prend une importance terrible. Ce n’est pas forcément très sain non plus.
C'est comme la scène, mais la scène est une drogue saine pour moi. Il y a un artisanat du théâtre qui se remet en question chaque jour, à chaque représentation, ca me convient beaucoup mieux, j’adore. Il y a beaucoup de chemins de traverses, de chemins pourris dans ce métier, mais en fait la chance que j’ai c’est d’avoir joué assez jeune, au lycée, devant un public de lycéens, d’amis, un public qui a une exigence, qui n’est pas un public facile, et d’avoir connu cette pure jubilation du jeu, le plaisir d’être comédien. Après c’est seulement pour prolonger ou reproduire ça. Forcément, ça demande de réunir les conditions autour de soi pour faire perdurer ce sentiment, cette humeur. Avec Znorko et le Cosmos c’est vraiment ça, c’est une rencontre épatante. Je n’imaginais pas qu’ils existaient, comment ils travaillaient. C’est une très belle rencontre, ça me fait du bien. Et chaud au cœur. C’est une chance pour moi d’avoir pu les rencontrer et travailler avec eux. Ce sont des repères dans le monde du théâtre et de la culture.
A voir ce que tu as joué au théâtre et au cinéma, j’ai l’impression que tu es toujours dans des rôles qui bordent la folie, la marginalité. Est-ce un choix personnel, n'es tu pas enfermé dans un rôle?
Non, j’évite d’être enfermé, catalogué. Ça fait partie de l’être comédien. Si ça ne l’est pas au départ, ca devient pour moi une sorte d’anthropologie imaginaire.
C’est une exploration des frontières, des agissements de l’esprit humain, du rapport humain, je ne sais pas comment dire. C’est passionnant. C’est vrai qu’on me confie souvent des rôles limites, mais c’est cela qui est fascinant. C’est la manifestation paroxystique qui est belle, la passion, ce n’est pas pour autant de l’enfermement.
Le théâtre m’offre plus de possibilités que le cinéma qui peut être très réducteur. Il arrive souvent qu’on soit identifié à la chose qu’on joue. Comme j’ai été connu par les films de Léos j’ai été catalogué très vite comme dingue, même pas comme comédien, alors que je jouais depuis l’âge de vingt ans et même avant, je sais bien que j’ai été perçu comme une personnalité que Léos avait chopé dans la rue. Un type qui était comme ça et qu’il avait utilisé. En même temps ça a un côté flatteur, ça veux dire que j’ai mis de l’âme et du sentiment dans ce qui est pour moi une composition. Après je me méfie, dans "Mauvais Sang" j’ai compris qu'il y avait la possibilité pour le comédien de changer dans son corps, de se désaxer, de trouver une ligne physique et psychologique en soi qui influent l’une sur l’autre pour créer un personnage. Le personnage de "Mauvais Sang" est dans une ligne héroïque, dynamique, il est vif, tonique, je n’étais pas forcément dans ce trip là en tant que comédien avant d’aborder Alex. C’est donc un vrai travail de conditionnement physique. Je me suis rendu compte que le corps était en partie métamorphosable, qu’on pouvait se changer aussi dans la manière d’aborder les choses, dans le regard, dans un état, pour aller vers le jeu. Ce qui ne veut pas dire faire comme l'actors studio, prendre des kilos, vivre quelque chose, je n’y crois pas, ça m’énerve. Il y a deux écoles qui m’énerve en ce moment : il y a le côté actors studio, à chaque fois qu’on fait un truc on vous dit "alors vous avez vraiment vécu ça", ben non c ‘est tout dans la tronche, c’est de l’imaginaire. Il y a une créativité chez le comédien, il ne faut pas la nier. Il y a une propension à la poésie, à l’imaginaire, à développer ce qu’on a en nous très petit, comme la pulsion de meurtre, la pulsion d’amour. Avec ces deux bases on peut jouer Roméo et Juliette et Richard III, il suffit de les faire grandir. On n'est pas obligés de planter toute sa famille pour jouer Richard III, il ne faut pas déconner. Ça peut donner des dérives bêtes. Et puis l’autre, c’est l'école de la désincarnation, du "dé-jeu".
Je sais qu’il y a presque un enseignement de cela, il y a des metteurs en scène qui pratiquent ça, des comédiens qui rentrent dans ce jeu là, même de jeunes comédiens, des apprentis comédiens qui subissent ces préceptes.
Surtout ne pas mettre d’émotions, c’est indécent de mouiller sa chemise, il suffit d’avoir une très grande intelligence intellectuelle. Mais il n’y a pas que l’intellect qui parle dans un comédien, il y a tout le reste. Il y a le physique, l’imaginaire, une très grande conscience de ce que dit l’auteur et de ce qui est indiqué avec beaucoup d’intelligence, en faisant en sorte que le personnage garde sa dignité. Il y faut quelque chose de déchiré, le duende de Lorca, c’est ça. Ou comme Charles Dulin qui dit ce sont les dieux qu’il nous faut, il parle du théâtre, des Médées avec des rôles de Dostoïevski… Forcément, on fait appel à des énergies qui nous
dépassent pour paraître sur scène.
Qu’est ce qui maintenant te ferais tout particulièrement envie ?
Comme j’ai été itinérant seul à travers plusieurs troupes, j’ai rencontré beaucoup de gens, chaque année je continue de rencontrer des comédiens, des metteurs en scène, des écrivains, des photographes, des peintres, des chorégraphes, des cinéastes de haut niveau ou dans les prémisses….
Il y a quelques personnes dont j’aime bien l’esprit, c’est totalement illusoire, en tout cas c'est un souhait, que chacun qui gravite dans la même humanité puisse davantage communiquer. Je ne sais pas si tu as vu ce que raconte Van Gogh dans les Lettres à son frère Théo, quand il s’est installé en Arles il aurait voulu rassembler tous les peintres qui lui plaisaient de son époque afin de créer une sorte d’ateliers d’artistes, que cette force d’expressivité soit communautaire, comme une vague. En fait il a pété les plombs avant. Voilà, j’aimerais le faire avec ceux qui me sont chers. Il y a trois artistes avec qui je suis en résonance: Van Gogh, Artaud, Nijinski, ils ont tous témoigné de la folie. La folie c’est quelque chose avec lequel on joue, mais pour moi la plus grande folie c’est celle de la société actuelle.
Merci Denis.
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