Scène Nationale de Martigues, le Théâtre des Salins dirigé par Gilles Bouckaert fait une large place à la création en général et à la danse en particulier. Pour finir en beauté cette année 2022 calamiteuse qui succède aux pires années de pandémies de toutes sortes, politiques sanitaires et sociales, il ne fallait pas moins que deux spectacles de flamenco pour la réenchanter quelques instants. Un "Concerto"', "petite forme" par Ana Servius Pérez, travail en cours dans la petite salle "du bout de la nuit", et un spectacle audacieux de Patricia Guerrero dans la grande salle: "Distopia".
"Distopia" de Patricia Guerrero
Mujeres poderosas
Le concerto de Ana Servius Pérez
Née dans l'école de flamenco de Maria Pérez, sa mère, Ana est une perle rare qui s'approprie l'essence du flamenco pour l'emmener où elle veut, dans une zone d'expérimentation qu'on appelle le "Flamenco Nuevo". Accompagnée par José Sanchez à la guitare flamenca, en parfaite synergie, elle porte le zapatéado à un niveau d'incandescence virtuose. De grandes scènes l'attendent.
"Distopia" de Patricia Guerrero
Une dystopie est une utopie du pire, on peut se demander si ce n'est pas tout simplement une utopie réalisée. 1984, le chef-d’œuvre de Sir Arthur Blair que nous pensions imaginaire n'était qu'une description du système stalinien à l’œuvre, romancé mais parfaitement documenté, le pire du pire était encore à venir. On ne s'étonnera donc pas que l'univers de Patricia Guerrero soit une mise en espace du machisme ordinaire où on retrouvera le cauchemar du patriarcat, les violences contre les femmes et leur invisibilisation.
Mais on y verra également des femmes puissantes qui n'abandonnent plus la scène aux bellâtres testostéronés, sans rien abandonner de leur grâce ni de leur beauté que certains et certaines appellent encore féminité. Quoique ce concept fut devenu suspect voire péjorant dans un monde où on peut décider si on est mâle ou femelle malgré les "erreurs" de la nature. Elle, elle est femme jusqu'au bout des ongles et elle l'assume fièrement.
Née dans l'école de flamenco de sa mère à Granada, dans le quartier Albayzin, elle a fréquenté la danse gitane dont elle possède la furia làtina, et le Ballet National d'Espagne où elle a intégré la rigueur classique sur laquelle elle s'appuie pour inventer un langage contemporain nouveau.
C'est son cinquième spectacle, nous l'avions découverte gracile et vif argent au Théâtre de Fos, elle a encore gagné en puissance et en force, déployant son génie propre dans ses mises-en-scènes.
Elle ose tout, le tango, l'opéra, la destructuration contemporaine des canons classique, comme cette autre star du flamenco nuevo, Rocio Molina aperçue à Marseille et au Théâtre des Salins.
Elles osent tout et tout passe, c'est de la danse contemporaine et du flamenco, elles peuvent tout se permettre. Le pouvoir des femmes est en marche, elles le prennent et ne le quitteront pas.
Du pur génie.
Une année nouvelle.
La saison reprend au Théâtre des Salins, les 6 et 7 janvier 2023 une Comédie musicale, "Titanic", du Théâtre le 13 janvier, "Enfants sauvages" et le 15 janvier avec l'Orchestre National Avignon Provence, avec une autre guerrière de la culture et de la beauté en marche: l'immense Angélique Kidjo.
Manu Dibango n'est plus disponible, hélas, le covid tue aussi.
Photographies et textes Jean Barak
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