Après le Théâtre de la Passerelle de Limoges et le Théâtre des Carmes André Benedetto en Avignon, la pièce de J.P. Verheggen et J. Bonnafé mise en scène par Michel Bruzat a été portée magnifiquement par Marie Thomas à Paris, au Théâtre Les Déchargeurs
RETENEZ CE NOM. ET PUIS CE TITRE : « RIDICULUM VITAE ».
Dans une vie de spectateur il y a des artistes, des écrivassiers, des metteurs en scène, des scènes et des rencontres qui vous bouleversent. C’est rare. Mais quand vous croyez avoir tout vu, que la messe est dite, sans crier gare comme quand on regarderait passer les trains, ça vous pète encore une fois à la gueule. Une fois de plus, mais pas une fois de trop. Pourtant ce n’est que du théâtre, du mentir vrai, du pour de faux, une réunion d’oiseaux blessés tombés du nid, au pied d’une vie où cocoricotent et paradent perchés les nouveaux vrais cyniques. Des écorchés vifs déplumés qui criaillent l’insupportable de leurs blessures. Pourtant, ce sont bien les vôtres. Alors ça fait mal où ça appuie et ça fait aussi, bizarrement, du bien, on se sent moins seul. Moins certain dans ses incertitudes. Ça va de soi, ce n’est qu’illusion, après ça chacun rentre chez soi, au petit bonheur ou au grand malheur. On n’est pas égaux devant les ravages du vivant, mais c’est à cause qu’on l’est encore, vivants.
MARIE THOMAS
Cela va faire bientôt vingt ans qu’elle brûle les planches de la Passerelle de Limoges, mais pas que, un petit théâtre de cent places au confort précaire. Elle doit faire quarante kilos toute mouillée, une ombre, mais sous les feux de Franck Roncière elle est un feu follet, la poésie à l’état pur et dur, du Rimbaud, et du lourd. Ou elle est Ségolène Lagarde, une vraie femme politique qui inaugure des échelles de pompiers et un rond-point au patronyme inconnu, Pablo de son prénom, Picasso et Neruda. Et un autre dédié à la cuisine régionale du terroir. Inculte comme si souvent, vide comme c’est devenu la nouvelle règle. La vacuité moins l’intelligence, la suffisance niaiseuse en sus. Un pur produit du marketing managérial et des discours préfabriqués qui accumulent les clichés comme les coqs, des ânes. Une créature de cette nouvelle civilisation du ni-ni. Elle est aussi la trivialité même, la crudité d’Artaud le Momo qui jouit d’éructer des mots atroces. La langue c’est de la viande pourrie et qui pue. Marie danse les mots du corps comme les maux de l’âme, douloureuse, sensuelle, on se demande bien qui, à part Marie Thomas, peut réussir ce numéro impossible de funambule du verbe incarné. Elle est hors limites, désenchaînée, incroyable. Une grande actrice, une étoile qui n’est pas née de la dernière pluie. Benoit Ribière l’accompagne et la soutient au piano, certes en retrait, mais indispensable.
MICHEL BRUZAT
Il est toujours aussi difficile de parler des mises en scène de Michel Bruzat. Il est l’humilité faite homme. Comme s’il s’excusait encore d’être encore là, qu’il n’avait de cesse que de s’effacer, de donner toute la place à l’acteur ou à l’actrice, à l’auteur ou à l’autrice. Ou à l’auteure, c’est comme on veut, ça écorche un peu les tympans, on s’y fera comme aux zaricots, mais là c’est hors sujet. Même plus une mise en scène, une mise en bouche d’un texte impossible, une mise en espace pour une comédienne habitée, dans un lieu artisanalement bâti de leurs propres mains fines, rompues au maniement du stylographe, par des fous de théâtre et de parole incandescente.
POLITIQUE
Grace à nos nouveaux édiles c’est plutôt une incandescente de croix, « On » ferme le robinet de la culture. Partout, mais intelligemment. « On » ne supprime pas les subventions, « On » les diminue, de 80%, à trois mois d’un Festival comme “Babelmed”, une réunion internationale de métèques à Marseille, ou « On » rend les conditions d’attributions tellement impossibles que, hélas, ils ne répondent plus aux critères. Il y a des règles madame, il y a des bonnes manières Monsieur. Si ce n’est pas suffisant, qu’impudents on pétitionne, « On » trouvera toujours un grand petit sous-chef commis de l’Etat pour venir vous provoquer, vous insulter à domicile, pour vous pousser au cassage de gueule. “Vous voyez bien que ce sont des fous furieux!”. Ça ne marche pas à tous les coups mais c’est tellement jouissif, et au moins on vous aura rendu la vie infernale, et tenté de fermer un théâtre qui n’est pas sous tutelle. C’est du vécu limougeaud. Passé les bornes électorales il n’y a plus de limite. Très bientôt, hors des scènes nationales qui sont encore et subventionnées et très libres, on ne pourra plus compter que sur le seul public, tant qu’il le peux. Pour le moment, et pour autant que ça dure. Après… Alors laissons Antonin Artaud vomir les mots pour nous, supportons nos porte-paroles autoproclamés et insupportables avant que d’en manquer, et de devoir à nouveau lancer des pavés anniversaires dans la mare aux canailles. Ce texte primal, un cri, flamboyant, a été inventé par Jean-Pierre Verheggen en état d’ébriété avancée, il est traversé de fulgurances, de tête-à-queue, de contre-pieds, de jeux de mots extrêmement approximatifs: “Qu’on ne dise pas de vous: ‘Il est démuni, ou alors il est démuni docteur Schweitzer'”. Lauréat du prix de l’humour noir pour Ridiculum vitae, le texte de Verhaggen a été profondément retravaillé par Jacques Bonnaffé. Il a été recréé à la Passerelle de Limoges du 26 au 31 décembre 2017, il était en Avignon en juillet 2018. Qu’on se le dise, à voir absolument, plutôt deux fois qu’une, toute affaire cessante.
Jean Barak
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