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Théâtre de la Passerelle de Limoges: la clé de Sol

Dernière mise à jour : 12 avr.



Franck Roncière aux lumières, Marie Thomas à la scène, Michel Bruzat à la Mise en scène.



Après trente et sept années à un rythme effréné et plus de cent vingt créations, dans des registres connus et inconnus, avec des texte anciens ou actuels, après avoir brûlé la chandelle par les deux bouts -mais c'était un cierge de cathédrale- Michel Bruzat a dû mettre un terme à l'aventure du Théâtre de la Passerelle de Limoges, la mort dans l'âme. Les subventions se réduisant comme peau de chagrin, partout les petits théâtres "privés" disparaissent, ne resteront bientôt que les scènes nationales, pour le moment libres de leur programmation. Pourvu que ça dure.


La Passerelle




Fou amoureux du langage, Michel Bruzat a déniché des pépites, des perles et des diamants purs, il y avait des diamants dans la mine, ignorés de tous. Alors il a creusé. Pour clore cette aventure il est remonté lui même sur scène avec Gilles Favreau pour rendre hommage au public qui l'a toujours suivi dans ses audaces et à tous ces auteurs, artistes et acteurs qui ont fait vivre ce pari fou: représenter des textes classiques et mettre en lumière des auteurs inconnus, même à Paris aux cent trente salles ou en Provence aux soixante et douze théâtres, sans parler d'Avignon devenu la grande foire internationale aux 1600 spectacles que l'on sait, où la Passerelle venait chaque année, puisque personne ne venait à Limoges.



Marie Thomas regarde le dessous des choses dans "Le retour aux souches" de Sol, alias Marc Favreau


Réaliser l'impossible


C'était l'avant-dernier acte. Pour le final en feu d'artifice il a choisi Marie Thomas, l'une de ses fidèles de toujours, dans un dernier spectacle recomposé à partir des textes de Marc Favreau, le clown Sol à la scène. C'est "Le Retour aux Souches". Avec une représentation tous les soirs, du 26 au 31 décembre 2023 inclus, mais pas que: le 30 décembre elle a joué à la suite le triptyque intégral, "Comment va le Monde?" "Pôvre Vieille Démocrasseuse" et "Le retour aux Souches", les trois spectacles de 1h15 qui ont fait les délices du Théâtre des Carmes au Festival d'Avignon, avec dix minutes entre chaque opus pour reprendre son souffle. Quatre heures seule en scène pour un pur moment de théâtre en fusion, dans un état proche de la transe autant pour Marie-Sol que pour le public.





L'arène


Dans ce théâtre ovoïde de cent places en forme de piste de cirque il n'y a même plus de scène, l'actrice est au centre de l'agora, elle joue à trois-cent-soixante degrés, donnant à chacun le sentiment qu'elle ne joue que pour lui. Il suffit de tendre la main pour la toucher, comme elle touche familièrement celui-ci ou celle-là. Dans cette extrême intimité, ceux qui connaissent cette éternelle petite fille, sur scène depuis trente sept ans, n'avaient encore jamais vu un tel bonheur de jouer sur le visage d'une actrice. Jouer n'est pas le mot juste, elle donne chair, elle incarne, elle donne vie à ces textes ébouriffants. A l'évidence Sol a écrit pour elle et elle est Sol ressuscité.

"Marie Thomas est l'une des plus grandes actrices de ce pays commente Michel Bruzat", il est en dessous de la vérité: elle est très au-delà d'une actrice, elle est l'Être même de ce qu'elle incarne, habitée, possédée.



Marie Thomas Michel Bruzat


Sol


Pourtant, à le lire sur du papier, il faut avouer que le texte de Marc Favreau vous tombe des mains. Sol est un clown ou un clochard, un génie ou un fou, un enfant qui invente le langage ou un vieillard en train d'en perdre le sens et le réinvente avec l'énergie du désespoir, dans une langue insensée mais sur-saturée de sens et de contresens, de métaphores, de métonymies, de télescopages, de sorties de route et de dérapages incontrôlés, d'approximations et d'incompréhensions, une langue insensée qui déborde de sens dans tous les sens, une langue nouvelle comme l'inventent les enfants pour se l'approprier. A le lire, très vite vous étouffez. C'est-là le lieu du miracle, mise en scène par Michel Bruzat et habité par Marie-Sol ce texte illisible devient lumineux, jouissif, à mourir de rire. C'est contagieux, elle même rayonne à l'amble du rire du public.

Est-il nécessaire de préciser que les enfants hallucinés adorent? C'est du génie à l'état pur.




Le dessous des choses


"J'en vois des choses... et j'en entends aussi. 

La seule chose à faire dans la vie c'est de suivre sa voix. 

Pas n'importe quelle voix, t'occupe pas des voisins

t'occupe pas des voisines, c'est des voix d'évitement ! 

Tu suis ta petite voix qui monte de l'intérieur et qui te dit de faire l'enfant. 

(...)

Ils disent qu'ils aiment la terre et pourtant ils la mettent 

en rangs... Pôvre terre... ils la traquent et la détraquent 

avec leurs détracteurs. 

Et les oiseaux s'en vont les oiseaux en peuvent plus,

les oiseaux s'en vont avec leurs maigres rations...

Y a plus que le vent dans les clôtures...

c'est le concert de clôture..." 



Les "petites mains"


Dolores Bruzat et Marie Thomas


Dans l'ombre -et à la caisse- il y a Dolores Bruzat qui a créé tous les costumes des cent-vingt spectacles, à partir de petits riens qui sont tout, ses placards à elle et ses longues promenades à chiner dans les brocantes, elle est la face cachée qu'on voit tout le temps et qui pourtant se fait oublier, c'est le dessous des choses, son secret.



Michel Bruzat




Il voulait partir en douce, sur la pointe des pieds, s'effacer, mais cela ne se peut pas après 37 ans de passion partagée. Le public attendait ses mots pour ce dernier rendez-vous. Alors qu'importent la voix et le papier dans la main qui tremblent, il a annoncé ce que tout le monde attendait. Le Théâtre de la Passerelle de Limoges est en cet instant déclaré fermé, l'association dissoute, mais le lieu ne deviendra pas un tapas ou un Kebab. Comme le phœnix il deviendra un lieu d'accueil pour les saltimbanques en mal de lieu de vie et de répétition, de scène alternative, un bistrot où on se saoulera de mots dits, déclamés, incarnés, un lieu comme il en existe si peu ici et encore moins ailleurs. Le silence après sol, c'est encore du Sol, alias Marc Favreau.




Phoenix


Rien n'est fait, rien n'est encore acquis, mais une nouvelle compagnie vient de naître, "L'altesse de l'Air", qui reprend tout les soli de Marie Thomas, le triptyque de Sol ci-dessus nommé,

"Émilie ne sera plus jamais cueillie par l'anémone." création de 2022 de Michel Garneau, d'après la vie et l'œuvre de la poétesse anglaise Émilie Dickinson, avec Nadine Béchade, Marie Thomas et Isabelle Olivier.

"La Vieille Prodige" de 2003, extraits de textes et chanson de Brigitte Fontaine en voix et musiques avec Marie Thomas et Benoît Ribière,

Et plus tard, de nouvelles créations, avec Thierry Pavard à la co-direction, metteur en scène et pédagogue. Il a monté en 20 ans une quarantaine de créations associant amateurs et professionnels, Il accompagne Marie pour donner corps au projet.

Alors à ceux qui cherchent des spectacles pour les enfants de tous les âges sans limite, tentez le génie pour tous, comme Jean Vilar tentait d'inventer l'élitisme pour tous.



Photo Franck Roncière


Photos et commentaire Jean Barak janvier 2024




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