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Abbou Lagraa


Naouel et Abbou


Abbou, nous allons voir « Ou Transe », pourquoi cette référence à la transe ?


Quand j’étais petit j’allais en Algérie tous les étés avec mes parents, le cinq Août. Des gens venaient exprès de France, d’Europe et de partout pour entrer en transe, entrer en communion avec les esprits. Mes parents m’y amenaient tout le temps. Tout petit j’ai vécu la transe, la vraie. C’est un jeu de mots, le souvenir de la transe dans mon corps. C’est pour ça que j’ai fais le solo de cette pièce, c’est un moment de transformation. Au bout de sept ans de chorégraphie je me suis reposé des questions, j’avais envie de passer à autre chose. En gardant mon style mais en allant un peu plus loin, un peu plus profond. Du coup cette pièce est celle où je me transforme, je change, je passe à autre chose. C’est donc la transformation et la transe. J’avais aussi envie de le vivre avec mes interprètes : dans le solo et le duo c’est vraiment la transe, le quatuor est plutôt une transformation. Quand on part en transe on est vraiment nous-mêmes.



Tu atteints véritablement la transe sur scène…


Dans le solo, oui. Pas tout le temps parce que je l’ai chorégraphié. Même s’il y a de l’improvisation à l’intérieur c’est un solo écrit, il y a donc des moments où je peux vraiment me permettre de partir. Pas pendant les vingt minutes, mais il y a des moments où je pars vraiment en transe. Le seul moyen pour revenir sur scène ce sont des signes que j’ai dans ma gestuelle, je sais qu’à tel moment il faut que je déconnecte et que je revienne un peu sur terre.


D’une certaine façon la transe est une grande jouissance


Oui. C’est une grande liberté, mais surtout on est vraiment nous-même. C’est notre corps qui s’exprime, pas notre cerveau. La transe permet vraiment la connaissance de soi-même, d’aller vraiment dans des endroits que je n’aurais jamais découverts.

En fait j’ai eu une formation classique, contemporain, jazz, classique, conservatoire de région puis conservatoire National Supérieur.

J’ai trente quatre ans, j’ai commencé ma carrière à vingt-deux ans. Cette pièce, c’était lâcher tous ces codes que j’ai inscrits dans le corps. Même s’ils ne m’intéressent pas beaucoup, c’est quand même ma formation, une pirouette c’est une pirouette. J’avais envie de déconstruire tout cela.

Pour déconstruire il fallait que je sois vrai, le moyen pour être vrai c’était d’entrer en transe, et le solo. Quand je l’ai créé j’ai fait vingt-cinq à trente heures de transe pour sentir l’énergie, le khi des arts martiaux orientaux. C’est la sensation de l’énergie dans notre corps, ce qui nous tient debout, ce qui nous permet de vivre. Je suis de plus en plus intéressé par ce que le corps a à dire de la vérité, plutôt que la tête.



Par ailleurs c’est une pièce très orientale


Oui, beaucoup. Je suis Algérien d’origine, par mes parents.

De tout manière, comme la transe, comme la danse orientale, tout ce que je fais maintenant c’est vraiment ce que j’ai vécu dans mon corps tout petit.

J’ai vécu la danse orientale tout petit, j’ai connu la transe pendant des années, j’ai côtoyé la danse africaine tous les jours, j’ai vu la danse hip hop dans mon quartier quand j’étais petit, même si je ne l’ai pas vraiment pratiquée, puis le classique et le contemporain dans les écoles. Ce que je raconte, c’est tout ce que mon corps a vécu, tout ce qu’il a emmagasiné. Donc, danse orientale oui, c’est naturel pour moi, puisque c’est moi qui raconte, j’ai un univers imprégné de tout ça.

Il y a aussi les cinq ans passés en Allemagne, tout ce que j’ai vécu dans ma vie. Je ne fais pas exprès, parce que ce serait bien d’être un chorégraphe Français d’origine Maghrébine qui fait de l’orientalisme ou du hip hop, je le fais parce que c’est comme ça, c’est dans mon corps, dans ma tête, dans mon univers. Je crois qu’avec les chorégraphes qui arrivent, les nouveaux, les plus jeunes que moi encore, ça va être de plus en plus comme ça. On ne va bientôt plus parler de danse métissée puisque maintenant c’est naturel en France.

Ca paraît tout à fait normal. Mes parents sont là depuis Soixante ans, moi depuis trente quatre, depuis que je suis né, ce n’est même plus une question que je me pose, c’est dans mon corps. La danse du futur va être de plus en plus celle-ci, on ne se posera plus la question du multiracial, multiculturel, métissage, ce sont des mots utilisés par les politiques, mais les artistes français de ma génération et ceux qui arrivent sont eux aussi forcément imprégnés de tout ça.

De toute cette histoire, leurs parents sont asiatiques, maghrébins ou africains -puisque ce sont les plus récents, ils sont là depuis soixante ans- les asiatiques à peu prés depuis vingt-cinq ans, les artistes du futur ont forcément ce métissage en eux, dans leur corps, dans leur tête. Il faut s’attendre à des danses inspirées de pays différents, d’origines différentes, de cultures différentes, une danse ouverte sur le monde.



Au-delà de la question des origines sur le mode intellectuel, il y a quelque chose qui renoue avec les origines au-delà de soi, qu’en est-il de cet Orient qui est inscrit dans ton corps ?


Mes parents m’ont toujours dit : « à la maison, la religion- moi je n’en ai pas- c’est la religion musulmane, mais quand tu vas à l’école- donc en France- tu dois t’adapter, tu dois vivre comme tout le monde ». Mes parents m’ont toujours appris l’intégration : vivre dans un pays où les cultures ne sont pas les mêmes que les nôtres, mais pourtant m’adapter. Ils m’ont même mis dans une école catholique, avec des sœurs, où j’ai appris le catéchisme. Ce sont mes parents qui m’ont appris avant tout a être ouvert et tolérant, tout en gardant mes racines, mais il est vrai que ça a été très difficile. Cette double nationalité, ou plutôt cette double culture, ça n’a pas été facile à gérer, surtout à partir du moment où j’ai dit « je veux être danseur ». Là je dois dire qu’ils ont oublié la tolérance. Ils m’ont dit « ça ne va pas, ce n’est pas un métier », tout ce qu’on connaît socialement parlant, et puis je me rends compte d’une chose simple, la danse m’a permis de ne pas être traité comme un Arabe ou un fils d’immigré, ça a toujours été un échappatoire. Quand on est danseur ou chorégraphe, on n’a plus d’appartenance. Je n’ai pas connu le racisme petit, puisqu’à seize ans j’ai commencé à danser et qu’on m’a accepté partout.

On ne me demandait pas ma race, ma couleur de peau, j’étais danseur.



D’une certaine façon quand tu danse, tu deviens « un »…


Exactement. Oui. Si je raconte tout ça c’est pour dire que maintenant, à mon âge, avec la création, ça me donne envie vraiment de retrouver d’où je viens, d’où viennent mes parents. Je me pose la question plus qu’ils ne se la posent. Je leur apprends même des choses qu’ils ne connaissent pas sur leur culture. C’est vraiment intéressant, c’est moi qui les rapproche, qui les ramène dans leur pays, qui leur explique des choses.

Dans « Ou Transes » j’avais envie de musique Soufi, qui n’est ni algérienne ni marocaine ni tunisienne mais égyptienne, le Soufisme est afghans, pakistanais. J’avais envie de cette musique et j’ai fait découvrir le Soufisme à mes parents.

C’est un dérivé de la religion musulmane qui n’est pas basée sur le religieux mais sur le spirituel, c’est ce qui me plait.

D’ailleurs dans « Ou Transe » j’ai choisi le moment de voix où la religion n’est pas citée, c’est plus existentialiste, ils répètent toujours la même phrase, « nous sommes vivants, nous sommes là ». Ils parlent des êtres humains. Cette dimension me plait beaucoup.



En même temps ton travail est totalement contemporain


Oui, il est d’aujourd’hui. Je déteste le terme « Danse Contemporaine », il me pèse même, je n’ai pas trouvé de nom, je ne sais pas même s’il faut en trouver un, le mot danse me suffit largement. Dans le mot « Danse Contemporaine » il y a tout le passé, le présent, tout est confondu. Dans la danse contemporaine il y a tellement de choses actuelles, d’aujourd’hui, la non danse, la danse, la danse théâtre, la danse abstraite, j’allais dire la danse concrète, la danse imagée, la danse académique, la danse minimaliste, il y a de tout, tout est mélangé, ça me dérange un peu d’être dans une sorte de troupeau.

Mon écriture est d’aujourd’hui. Pour créer des pièces je suis très organique, je suis un chorégraphe accoucheur, c’est comme ça que je me définis, j’accouche les pièces, elles sont dans mon ventre et il faut qu’elles sortent, je suis incapable- et ça ne m’intéresse pas- de prendre un livre et de faire une pièce sur ce livre en l’ayant lu quarante fois, analysé, etc.

Je saurais le faire, mais si je fais ça c’est la fin de la création. Si j’ai les réponses avant la création je n’ai pas besoin de créer. J’ai besoin de me jeter, d’essayer, et après de me dire « De quoi suis-je en train de parler » ? A partir de ce moment oui, en effet, pendant la création je fais des recherches. C’est assez tard en fait, mais c’est pendant que je crée ou pendant que je prépare. Je me dis « Ca me fais penser à quoi » ? Ou je demande à des gens, on me propose des références de bouquins, de poèmes, de peintres, et ça me nourrit pendant la création. Si j’ai la réponse avant la création je n’ai pas besoin de créer, je reste chez moi.




Il y a une très grande fluidité dans ta danse, une très grande animalité. Tu as depuis le début une danseuse qui fait penser à une panthère noire. Ton inspiration vient-elle de là ?


Oui. Quand je choisis des danseurs c’est très difficile, je prends des gens qui savent très bien danser, qui ont de la technique, qui sortent d’écoles, ou qui ont une formation très poussée en classique, jazz, contemporain.

Mais j’ai besoin de gens qui sont eux aussi dans quelque chose de complètement organique, animal. Je cherche tout ça en même temps. Ca veut dire forcément des gens qui savent ce qu’ils veulent dans la vie, qui ne se posent pas plus de questions que celles qui arrivent, et surtout qui ont envie de s’engager avec moi. Un danseur dans ma compagnie, ou moi-même quand je danse dans mes pièces -pas toujours mais dans quelques une- ce n’est pas comme avec d’autres chorégraphes. Nous avons vraiment besoin d’être à 100% là sur le plateau quand on danse. Et pas ailleurs. Pour être capable de ça il faut de très fortes personnalités. Vous connaissez le métier, on peut être malade, on peut avoir une mauvaise nouvelle, mais il faut être là. Si on n’est pas là, c’est foutu. On entre, on ressort, on se dit « Mais qu’est-ce qu’on a fait ? ».

C’est une danse qui demande beaucoup d’engagement de soi même, de croire à l’être humain, au côté animal, organique.


En fait mes spectacles touchent le public, je le respecte énormément, j’ai aussi envie de lui faire plaisir. Mathilde Monnier disait dans un article récent qu’elle ne voulait surtout pas séduire, moi en fait j’ai envie de séduire parce que je suis méditerranéen, et que nous avons envie de séduire. Si je ne sens pas une séduction avec le public je ne sens pas le truc. J’ai besoin de sentir que les gens sont proches de moi. En fait, j’ai une danse qui parle à tout le monde, parce que nous sommes là avec nos tripes. C’est une danse de tripes, d’émotions, une danse hyper humaine, nous sommes des êtres humains avant tout, nous ne sommes pas des danseurs, des instruments de chorégraphes.

Nous sommes des êtres humains et nous racontons, je raconte des choses de la vie, des relations, de la solitude, du groupe, je me pose beaucoup ces questions là, et je me les poserais tout le temps je pense. Et puis je me pose beaucoup la question du côté féminin et masculin qu’on a tous en nous, j’espère que je ne trouverais jamais la réponse de ma vie, parce que du coup il y a de quoi faire des pièces, j’espère que je ne trouverais jamais la réponse. Je ne parle pas de sexualité, je ne suis pas dans l’érotisme non plus, je suis dans la sensualité, le rapport humain.


Je ne suis pas non plus dans l’existentialisme tout le temps, parce que l’existentialisme c’est se poser des questions tout le temps, tout le temps, tout le temps, et trouver des réponses, en fait je suis plus dans regarder. Ce que je veux dire, je n’ai pas envie de faire une pièce, d’arriver devant le public pour dire « Voilà : le monde est horrible ». On le sait qu’il est horrible, on le vit tous les jours. Je suis aussi dans un rapport de spectacle, puisque c’est le mot tabou. J’entends : « Les contemporains ne doivent surtout pas dire ça, le spectacle ce n’est pas artistique, le rapport au public on s’en fout » Moi je suis dans un rapport de spectacle.

Je veux que les gens ressortent en disant « la vie n’est peut-être pas si facile que ça mais elle est pleine d’espoir ». On le sait que c’est la merde dans le monde, je n’ai pas envie d’emmerder les gens avec ça. J’ai plutôt envie de dire « notre vie à tous est dure, on tombe toute notre vie pour se relever, on fait tous la même chose, riches, pauvres, n’importe qui on tombe et on se relève, on tombe et on se relève, ce qu’on appelle le bonheur c’est quand on est debout deux secondes ». En effet les moments debout sont rares, mais je veux quand même dire aux gens « on a beau tomber et se relever, on a quelque chose de magnifique : c’est nous tous ici ». C’est pour ça que je parle de la solitude : le solitaire n’est jamais vraiment seul, s’il en a envie il a le monde entier devant lui, il peut rencontrer les gens. C’est peut être leur redonner espoir: « regardez, la vie n’est pas facile, mais que c’est beau de se toucher, d’être en contact, de s’entraider, c’est beau de souffrir aussi ».



Il est question d’amour aussi


Oui: ceux qui créent sont toujours ceux qui font à l’opposé. C’est pour apprendre à m’aimer moi-même. C’est hyper difficile, ça fait huit ans que j’essaie, dans la solitude. Ca vient, je commence à m’aimer, du coup je suis capable d’aimer les autres, et de donner aussi un peu d’amour au public. J’ai eu besoin de ça pour traverser cet amour en moi, et pouvoir le partager, je me rend compte que j’ai bien fait. Je l’ai fait organiquement, je ne l’ai pas pensé, c’est instinctif.


Maintenant je me dis que c’était dur mais que ce n’était pas mal. Je retrouve un peu de calme en moi, j’accepte beaucoup de choses de moi, et du coup je peux accepter les autres. La tolérance, que c’est dur ! Je pense que j’en ai pour toute ma vie. De plus ce n’est pas facile de travailler avec de fortes personnalités comme dans ma compagnie, il y a des clashs parfois, mais il suffit de les accepter, de se dire que c’est normal, que c’est humain, de ne pas en faire un drame. L’être humain est un sacré truc !

Mon Dieu que les gens sont compliqués, que je suis moi-même compliqué, que la vie est compliquée ! Je trouve que la vie est vraiment un enfer.

Ma compagnie tourne, je suis accueilli sur les plus grandes scènes de France, je vais à l’étranger, dans la compagnie il y a dix huit, vingt danseurs, tout est là pour apporter du bonheur, en fait, ce que je vis, ce n’est que l’enfer.

Plus on a envie de travailler avec du monde et plus il y a de monde à gérer, de moins en moins de temps pour moi, de plus en plus de temps pour mes danseurs, pour les artistes avec qui je travaille, plus de compromis, plus de discussions, de remise en question permanente. Tous les matins en me réveillant je me demande ce que va être demain.



Heureusement les programmateurs et le public sont là, ils nous donnent beaucoup d’amour quand nous dansons, ils nous accueillent et me font confiance, ils m’encouragent à continuer. On me reproche de faire des grosses pièces avec beaucoup de monde, on me dit que c’est trop cher, et je continue d’en faire, la prochaine c’est dix encore. Voilà. Je fais ce que j’ai envie, parce que de toute façon, si nous disparaissons, au moins je me serais un peu éclaté avant.


Merci Abbou.





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