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Angélique Ionatos




Angélique bonjour.

Tu as parlé pendant le spectacle de cannibalisme de l’artiste…

C’est un peu vrai, nous le sommes tous. Moi-même je mets en musique des poètes Grecs. Il y a un moment où on pense qu’on est soi même là en jeu. Une fois qu’on a respecté le texte on n’y pense plus, il faut s’exprimer. Tous les artistes font ça, ils se nourrissent les uns des autres, et de la vie. C’est un bon cannibalisme malgré tout.


J’ai l’impression que tu les incarnes, que tu les fais vivre plutôt que tu les dévores…


Mais j’ai commencé par les dévorer dans le vrai sens du terme. Après, j’espère que toute cette lumière qu’ils nous donnent continue à briller malgré tout. Je suis très amoureuse de poésie, je pense que c’est elle qui a inventé le monde.


Tu parles de l’art avec une véritable ferveur, comme si c’était quasiment un rapport mystique…


L’art est très concret, en même temps, très réel. Comme musicienne, je commence à accorder ma guitare avant de mettre les poètes en musique. C’est très ancré dans la vie, et en même temps c’est ce qui nous transcende, ce qui nous différencie de l’animalité qui est en nous, dont nous avons les preuves tous les jours. C’est pour ça que j’ai cité les vers de René Char “ l’art c’est la braise sur laquelle s’écoule ce filet d’eau très ancienne ” et il ajoute : “ malgré les attentats ”. Cette phrase est tellement belle, tellement réelle !

Cette braise est comme le feu que l’homme a inventé dans cette nuit où il se trouvait. Cette petite flamme a donné le repos pour penser à autre chose qu’à la nourriture, au froid ou à la survie, et de passer à la vie, au rêve.

L’art permet le rêve. Quand je dis art j’ai envie de dire la poésie avant tout. Sans elle nous sommes perdus. En Grec poésie se dit “ Poiêsis ”, c’est la création. Au commencement était le verbe.



César Strocio Angélique Ionatos


Tu es amoureuse de la poésie, tu as mis en musique Odisséas Elytis et bien d’autres. N’est-ce pas une manière de la faire vivre à travers la musique et la scène ?


En dépit de tout dirais-je. Je ne serais pas musicienne s’il n’y avait pas les poètes, cette émotion que j’ai ressenti enfant quand ma mère me lisait des textes. Même si je suis profondément musicienne, au fond j’ai l’impression que ce sont les paroles, le verbe, qui ont fait naître en moi ma musique. Sans la poésie je ne serais peut-être pas devenue musicienne. Ce qui m’importe avant tout ce sont les mots.


Le Message ?


Dès qu’il y a mots il y a message. Forcément. Ce qui se dit dans les livres, dans l’âme humaine, dans l’obscurité, dans ce noyau dur qu’on essaie de traduire, ça m’importe beaucoup.


A travers les auteurs que tu mets en musique tu chantes toujours l’amour, la liberté. L’art est-il pour toi un art de révolte ?


Si ce n’est pas la révolte toujours, c’est en tout cas la subversion. L’interrogation permanente sur notre état, sur notre présence ici. C’est la philosophie, le cri, le rire, c’est l’amour avant tout. Quand l’amour manque de notre vie on s’étiole et on meurt.


Pourquoi sommes nous là ?


Eh oui ! Après tout, malgré tout, nous sommes le fruit d’un amour. Un homme et une femme dans l’amour font cette nouvelle créature. Le départ c’est l’amour, la fin doit être l’amour aussi. Et entre les deux, il faut essayer.



Avec Snorko tu jouais dans corrida, le jeu théâtral a-t-il changé quelque chose pour toi?


Oui. Cela m’a beaucoup aidé en tant que musicienne à me détacher de la guitare, à évoluer sur scène avec aisance. Un spectacle est un tout, les yeux des spectateurs sont aussi importants que leurs oreilles. Etre à l’aise avec son corps est une arme de plus.

Avec Wlad ou Omar Porras pour ce spectacle j’ai énormément appris. Nous les musiciens avons une discipline, travailler son instrument tous les jours. Le théâtre a une dimension supplémentaire, ça exige une discipline encore plus grande et une concentration énorme.

Je l’ai appris avec beaucoup de plaisir et j’espère que ce ne sera pas la dernière expérience.



Quel est le rôle de l’artiste ?


Nous sommes dans un monde redoutable, couper les vivres aux créateurs, remettre l’art en question est une chose tragique. Je pèse mes mots.

Tant que des technocrates s’occuperont de l’artistique ce sera de plus en plus tragique. Il faut traiter les artistes de manière plus respectueuse. Ce qu’ignorent ces messieurs qui nous gouvernent et ces gens qui ne pensent qu’à l’argent c’est qu’il faut des années pour créer cette heure de spectacle. Travailler le corps pour les danseurs, la pensée, y compris parfois quand on a l’air de ne rien faire. Tout ça ne peut pas se comptabiliser. Sans les artistes la société se meurt. Nous ne sommes pas que divertissement, c’est l’histoire de la braise. Que ferons nous si elle s’éteint ? Entrer dans nos petites voitures pour gagner notre vie ? Manger, dormir, c’est ça la vie ? C’est ça l’être humain ?

Il faut préserver ça comme dans la Grèce antique, c’était le nom des artistes qui était gravé dans le marbre, sur les stèles. Ce n’était pas les riches, ou les guerriers, c’était les créateurs, les poètes. Ceux qui ont fait avancer cette civilisation. Si on veut que nous devenions tous d’un matérialisme épouvantable, on peut tout comptabiliser, dire que les artistes sont des paresseux, on peut tout dire, mais ce qui se passe est gravissime. J’ai mal à mon propre pays et mon pays d’accueil, la France qui doit être un exemple.

C’est l’histoire qu’on enlève, l’oxygène qu’on est en train de couper.


Angélique, merci.


Angélique Ionatos nous a accordé cet entretiens plusieurs années avant la fermeture "sanitaire" de tous les lieux culturels, jugés non essentiels, à l'exception des lieux de cultes et des sex-shops, indispensables. Plus que jamais, elle est d'une brûlante actualité.


Avec César Strocio

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