Requiem(s) d'Angelin Preljocaj à Aix-en-Provence
Les Nations Unies
Nous devons la Société des Nations Unies au Président des États-Unis Woodrow Wilson qui était fou comme un lapin de mai *. Pourtant, si elle n'a pas empêché la deuxième guerre mondiale, les génocides en série et les crimes innombrables des gouvernements américains depuis, cette magnifique utopie a au moins le mérite d'exister avec ses institutions caritatives.
Requiem(s) au Grand Théâtre de Provence par Angelin Preljocaj
L'enfer
Elle aura au moins aidé à maintenir les guerres à une très basse intensité en Europe, ce qui a fait la prospérité des générations nées après 1945, et produit des effets délétères que vont payer ceux qui sont nés vers l'an 2000, puis les générations future.
Ces "Requiem(s)" pourraient bien être ceux de l'humanité qui a entamé son extinction, comme celui des milliers de femmes et d'enfants qui meurent à Gaza sous des tapis de bombes, sans nourriture et sans eau.
L'enfer, c'est ici et maintenant.
Génocides
Il est donc tout-à-fait de circonstance d'écrire un requiem pour l'humanité, au pluriel si on part des Arméniens pour arriver aux palestiniens en passant par les juifs et les tziganes, les khmers, les tootsies
les ouïgours, et tous les crimes de guerres, crimes contre l'humanité et ceux de masse, qui n'ont pas eu droit à l'appellation contrôlée. Les critères sont très stricts.
On peut toujours se demander si on a le droit de faire de la poésie après Auschwitz, de danser sur les charniers ou de peindre après Picasso. Autant se demander si on a encore le droit de vivre, comme si on avait choisi de naitre!
Deuil et mélancolie
Pourtant, dans cette vallée de larmes et de deuils, les chiffres ne veulent plus rien dire en regard de la perte d'un être cher qu'on voudrait retenir, même quand son heure est venue et que nous le savions tous. Alors la douleur nous atteint profondément, singulièrement, au cœur de notre être, bien plus que vingt mille enfants morts sous un tapis de bombes, américaines au demeurant. L'humain est radicalement paradoxal.
Que faire?
Angelin Preljocaj creuse son sillon, il y a un fil rouge qui relie cette pièce à "Paysage après la bataille" avec ses charniers et Joseph Conrad "dialoguant" avec Marcel Duchamp, 27 ans plus tôt. Danser, fut-ce le deuil, c'est se sentir vivre. Danser pour vivre, danser pour se sentir vivant, aller voir un spectacle sur le deuil pour réaliser qu'on est encore là. Le requiem est la messe des morts célébrée pour les vivants, pour qu'ils se sachent encore vivant.
Érudition
Avant de créer, Angelin Preljocaj lit beaucoup, il s'imprègne totalement du sujet jusqu'à ce que le mouvement s'impose de lui-même. C'est toujours une œuvre d’érudit qui se passe de mots, quoiqu'il puisse danser comme un funambule en équilibre sur une poutre en déclamant du Jean Genet, ou créer une chorégraphie sur une conférence de Gilles Deleuze, avec Deleuze/Hendrix en 2021. Il fait feu de tout bois.
Pour qui sonne le glas?
"Aucun homme n'est une île. Un tout complet en soi. Tout homme est un fragment du continent, une partie de l'ensemble: si la mer emporte une motte de terre, l'Europe en est amoindrie, comme si les flots avaient emporté un promontoire. Le manoir de tes amis ou le tien: la mort de tout homme me diminue, parce que j'appartiens au genre humain; aussi n'envoie jamais quérir pour qui sonne le glas, il sonne toujours pour toi".
John Donne, pasteur anglican, 1572 1631
L'âge venant, il y a peu, le Maitre a perdu successivement ses parents et des proches, comme pour lui rappeler l'inexorable de la fuite du temps, et lui commander la prière des morts pour les honorer et célébrer les vivants. Avec dix-neuf interprètes magnifiques, La pièce n'est pas tout-à-fait achevée, il reste toujours des longueurs à corriger, ce qui sera fait au fil des représentations. Le patchwork des œuvres musicales fait merveille, passant de Mozart, Bach, Deleuze a Messiaen sans qu'on y prenne garde, les danseurs et les danseuses sont éblouissant, éblouissantes, et l'émotion vous surprend.
une œuvre magistrale qui touche à l'universel.
Photos et commentaires Jean Barak
* Freud et Bullit, "Le Président Wilson". Freud avoue la faiblesse de son ouvrage indigne de ce qu'il fut, due à son grand âge et à son cancer de la mâchoire maintes fois opérée qui le fait souffrir le martyre, mais le récit de William Bullit est un document d'histoire sans pareil sur la folie de Wilson.
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Avec pour interprètes Lucile Boulay, Elliot Bussinet, Araceli Caro Regalon, Leonardo Cremaschi, Lucia Deville, Isabel García López, Mar Gómez Ballester, Paul-David Gonto, Béatrice La Fata, Tommaso Marchignoli, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Ygraine Miller-Zahnke, Max Pelillo, Agathe Peluso, Romain Renaud, Mireia Reyes Valenciano, Redi Shtylla, Micol Taiana
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