Frédéric Flamand bonjour,
tout d'abord nous avons fait un sondage, personne n'est d'accord pour que vous partiez.
La bonne question c'est jusqu'où va ce sondage?
il y a des sondés autres qui doivent être bien contents!
Un sondage pas auprès des élus et des administratifs mais auprès des danseurs et de ceux qui ont collaboré avec vous. Donc, vous ne partez pas.
C'est trop simple. vous connaissez la règle, il y a trois mandats, j'ai fait neuf ans quand même, ça passe à une vitesse incroyable, on a l'impression que c'était il y a six mois!
Mais on peut revenir sur ces neuf ans, parce que les débuts n'ont pas été faciles, ça fait partie de l'histoire brillante et chaotique du ballet de Marseille. La fin avec Monsieur Petit n'a pas été simple, avec Marie-Claude Pietragalla ça a été encore moins simple, tout le monde se demandait comment ça allait se passer la troisième fois.
A quelle sauce alliez-vous être mangé ?
Oui, quel allait être mon point de vue. Quand je suis arrivé il n'y avait pas de répertoire, ce qui est extrêmement étonnant. Imaginez: je viens de l'étranger, c'est la deuxième compagnie de France, un très beau titre mais pas de mémoire, un projet, le mien, « mémoire et innovation ».
Roland Petit n'avait rien laissé, Marie-Claude Pietragalla non plus, donc il a fallu tout rebâtir. Ça n'a pas été évidement facile. Avec le recul on peut donner une belle image de ça, dire que ça a marqué l'histoire du ballet pendant neuf ans, mais quand je repense aux premières années, je pense au titre du livre de Ricciotti: le Ballet de Marseille comme sport de combat. Il y a eu des cabales, des lettres anonymes, ce que je peux comprendre, c'est tout à fait logique: un artiste contemporain qui vient avec une vision très particulière, il faut le reconnaître, dans une institution officielle, la deuxième de France. Le choc est inévitable. La peur de l'artiste aussi, on a nommé un Maître de Ballet néoclassique à côté, en fait on voulait tout faire.
On vous attendait plus sur un versant néoclassique?
Pas nécessairement, on m'attendait sur tout: le néoclassique, le contemporain, l'international, le local, la France, et quand on veut tout faire on fait tout mal. C'est une leçon qu'il faudra peut-être garder pour le futur. Tant bien que mal, j'ai commencé à rebâtir la compagnie, j'ai fait des auditions, certains danseurs n'ont pas du tout suivi, d'autres de manière inattendue, très fort, il y a eu des choses extrêmement positives aussi.
J'ai amené la compagnie immédiatement à l'étranger, j'ai repris mon répertoire, c'était ma vision mais c'était la seule solution, avec les décors qui sont venus de Belgique, des coproductions avec l'Opéra d'Amsterdam. Deux mois après mon arrivée ici une coproduction avec le Festival de Marseille, « La Cité Radieuse », une création en Italie avec le Festival de Parme, tout cela a permis de redémarrer très fort et très vite. Il y a eu un moment d'euphorie merveilleuse au début, puis les difficultés ont commencé, forcément, il a fallu se battre pour imposer sa vision.
Nous avons fait aussi quelques erreurs, par exemple nous avons dansé du Balanchine, pas très bien, il y a des compagnies qui le dansaient beaucoup mieux que le Ballet de Marseille, donc après avoir joué ça trois fois à l'Opéra de Marseille ça s'est arrêté là. Cet axe était une impasse. J'ai fait d'autres erreurs de choix, un spectacle inspiré des Ballets Russes avec un chorégraphe russe. Très vite je me suis dit qu'il fallait une optique bien claire, bien précise, faire appel à de jeunes chorégraphes qui renouvellent le langage. Puisque la mémoire n'existait plus je suis allé la chercher chez William Forsythe, chez Lucinda Child, qui sont à la base d'une certaine modernité, d'une ouverture sur l'Europe aussi. En même temps il fallait que le ballet descende de son piédestal. Une ouverture à tous les niveaux, ouverture du lieux, création d'une salle...
Ce qui veut dire que le Ballet était sur un piédestal?
C'est l'image de l'institution, ça correspondait à une certaine réalité aussi, je le dis d'une manière très large: s'adresser à d'autres publics. Nous avons perdu une partie du public et a gagné une part énorme d'un public jeune qui n'était jamais venu voir de la danse. Le fait de travailler avec d'autres médias, d'autres disciplines, l'architecture, les arts plastiques, a amené tout un nouveau public à venir voir de la danse, ça a été un appel d'air incroyable, encore aujourd'hui. Vous avez vu à la gare Saint-Charles, nous n'aurions pas attiré 5000 personnes il y a huit ans avec un spectacle néoclassique.
Qui auriez-vous perdu?
Un public nostalgique d'une certaine époque, d'un certain type de danse. Nous ne sommes plus au dix neuvième ni au vingtième siècle. J'ai essayé de faire entrer cette compagnie dans le vingt-et-unième siècle européen, quitte à choquer parfois, tout en respectant l'héritage classique. Pas pour ronronner sur le néoclassique mais pour utiliser ce bagage extraordinaire que nous avons encore: plus de soixante pour cent des cours sont classiques.
C'est une base, et il fallait amener d'autres techniques contemporaines, avec des cours de Forsythe, des cours d'improvisation, toute une suite de professeurs qui ne venaient pas à Marseille. Nous avions un ou deux professeurs liés à l'Ecole qui donnaient toujours les mêmes cours.
Il y a eu aussi le projet DANCE avec Preljocaj...
Ça a été le révélateur, quarante jeunes danseurs formés sur quatre ans avec des aides européennes, les danseurs voyageaient entre Londres Dresde Bruxelles , C'était une alternative à une école en fait, la plus moderne qu'on puisse imaginer aujourd'hui.
Une école internationale...
Oui, comme en rêverait Anne-Térésa de Keersmaeker ou Sacha Waltz, ou les chorégraphes qui comptent aujourd'hui. Au bout d'un moment Il n'y a plus eu de généreux payeur, il y a eu un temps d'hésitation parce qu'il y avait peu d'élèves dans la classe d'insertion de l’École, et le groupe DANCE a remplacé pendant une année la classe d'insertion professionnelle. Ça a été formidable. J'ai espéré qu'on puisse stabiliser cette situation et profiter de cette révolution, de cette alternative extraordinaire de formation exemplaire, avec plusieurs Maîtres, pallier l'Ego en passant par différents chorégraphes. Ça s'est arrêté, soit. Angelin a pris deux danseurs, nous en avons pris six, qui ont été à la base d'un renouvellement de l'esprit au Ballet de Marseille. Ils ont contaminé d'autres danseurs: Nous avons deux générations de danseurs, les petits jeunes, plus quelques personnes que j'avais amené de Belgique comme Yasu et Kata, qui restent, ce qui est très bien. Certains qui n'étaient pas d'accord sont partis de leur propre initiative. Nous avons créé une osmose avec les anciens danseurs pour créer un nouveau groupe qui est aujourd'hui au summum de ses possibilités. Où qu'on aille il y a des échos magnifiques sur la compagnie, à l'étranger, tous les profs qui viennent disent qu'ils sentent une compagnie soudée.
Quel avenir voyez-vous pour le B.N.M. Et quel répertoire laissez-vous?
Ça c'est la chose positive dans les discussions que nous avons eu avec les tutelles, Ville État Région, après moult discussions je les ai sensibilisés à cette notion de répertoire. On ne va par recommencer à zéro, tabula rasa, ce qui aurait été absurde, parce que ce répertoire est porté par le corps des jeunes danseurs qui sont aussi créatifs, qui font partie de ce répertoire. Sept de mes spectacles, vous les connaissez, « Orphée », « La Cité Radieuse », « Moving Target », « Titanic », « La Vérité » plus les chorégraphies de Emmanuel Gat, Emio Gréco et Olivier Dubois.
Nous avons une jeune compagnie merveilleuse, il faut comprendre ça et ne faire ni marche-arrière ni changer radicalement. Ce n'est plus mon rôle, c'est celui des politiques, le temps du politique n'est pas toujours le même que le temps de l'artistique. J'espère qu'on continuera dans la lignée européenne prospective que j'ai impulsée, mais dans une autre direction, que le prochain Directeur ne sera pas quelqu'un avec un ego surdimensionné comme on en trouve parfois dans le milieu de la danse, qui ne pense qu'à son univers et qui va écraser tout ce qu'il y a autour.
Et en même temps une forte personnalité, pas quelqu'un de mou qui s'aplatirait, que ce ne soit pas une nomination qui tombe comme un parachutage, quelqu'un qui veuille juste venir dans le Sud pour profiter du soleil.
Pouvez-vous nous dire ou vous allez, pour quoi vous quittez le ballet?
Les trois mandats ne se renouvellent pas ou exceptionnellement, je crois qu'ils n'ont pas eu envie de le renouveler, j'ai aussi envie de faire d'autres choses. Neuf ans c'est une période, j'ai réalisé en fait ce que j'ai eu envie de faire. Piétra est restée quatre ans et Roland Petit Vingt-quatre ans. On ne m'a pas supplié de rester, j'ai fait beaucoup de choses dans ma vie, très diversifiées. Il y a une logique, un continuum dans ma trajectoire, depuis le début très marginale. J'ai commencé les premiers groupes expérimentaux en Belgique il y a quarante ans, avec une compagnie qui s'appelait "Planca", qui a voyagé dans le monde entier. Cette compagnie s'est installé dans une usine, c'est le premier lieu pluridisciplinaire en Belgique, en 1980. Nous avons invité trois cent artistes du monde entier qui sont des stars aujourd'hui, Bob Wilson, Econ de Boniment, Joy Division, Cabaret Volter, Charlemagne Palestine, Eurytmics, Piedroulers, Philippe Decouflé, c'est un lieu géré par des artistes.
Frédéric Flamand merci.
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