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Ghada Amer

Dernière mise à jour : 24 déc. 2022

Une artiste protéiforme


Marseille présente trois expositions de cette artiste atypique, égyptienne américaine et française, dans trois lieux emblématiques: Le MUCEM, La Vieille Charité et le FRAC.


Touche à tout


Jardin au MUCEM, "la parole d'une femme..."


Comme c'est une artiste touche à tout, les trois expositions sont très différentes.

Au Mucem, un jardin écrit en arabe une formule détournée d'une sourate. Si vous n'avez pas le mode d'emploi, vous risquez fort de ne pas percevoir son originalité. Le texte initial dit "La parole d'une femme est porteuse de honte", nous sommes en terre d'Islam. Une légère modification de caractère le transforme en "La parole d'une femme est révolution". On peut le constater à cette minute même en Iran ou des femmes préfèrent mourir tête nue plutôt que de vivre voilées, après qu'une jeune femme ait été assassinée par les milices des Mollah pour une mèche de cheveux échappée d'un foulard.

A deux pas de là, une salle du Fort Saint Jean accueille des "installations".

C'est une œuvre cryptée qu'on peut traverser comme tant d'expositions où un discours abscons tient lieu de justification d'une œuvre qui n'existe que si le spectateur l'invente: une série d'installations, un salon d'apparat avec ses papiers peints, des caisses de carton brodées, un dressing.

Mais là, c'est l'inverse: l'installation est le prétexte d'un texte subliminal brodé, qu'on ne peut décoder que si on a la clef, et qu'on lit l'arabe. Quand vous avez la chance d'être guidée par l'artiste et la commissaire de l'exposition, votre regard change.


Visite de presse avec la Commissaire et Ghada Amer


Censure


Un objet banal n'éveille pas la curiosité, au pays de la censure tout est prétexte à détourner les codes, à déjouer la vigilance des censeurs, à faire passer des messages à ceux qui savent les chercher. Le Texte Saint dégorge d'allusions au plaisir féminin, au bénéfice certes de la fierté de son seigneur et maître, mais elle le retourne à son profit.



Dissonance cognitive


A Paris, c'est l'inverse. Provoquer, choquer, c'est le but d'une "performance" qui consiste à déambuler déguisée en chauve-souris -entendez en hijab- avec deux complices, pour mettre en lumière l'incompréhension de l'occident chrétien devant les codes de l'orient intégriste. Mission accomplie, les réactions sont au rendez-vous et même la police, mais il n'y a pas eu de garde-à-vue. "C'est pas carnaval" n'est pas une injure grave, et en démocratie on ne peux légalement masquer son visage hors pandémie. Depuis ce siècle, en dehors des grandes manifestations de piété, on ne voit quasiment plus d'hommes déguisés en corbeau ou de femmes en blanche colombe immaculée à cornette. Entre son orient et son occident, l'artiste se prend les pieds dans le tapis persans des appartenances identitaires contrariées. Il n'est pas facile de porter en soi une triple culture.


Féminisme versus Sapho



Peu importe les choix ou l'orientation réelle de l'artiste. Son œuvre est une ode vibrante au saphisme, l'arme absolue contre l'intégrisme religieux patriarcal. Là où elle est objet privé à consommer et esclave domestique à cacher en public, elle n'a plus besoin de lui, se donne du plaisir, seule ou entre consœurs, elle exhibe sa jouissance nue et libre derrière le rideau tissé des Nymphéas. Les tableaux de Ghada Amer ont l'air innocents, moches ou beaux, peu importe, pour peu qu'on ne s'en approche, au risque de découvrir le message érotique caché sous les fils de la brodeuse. Le message subversif passe en contrebande.



On pense irrésistiblement au peintre médiocre de "La Tête Coupable", dont les peintures informes cachent une forêt de sexes érigés, qu'on ne distingue qu'en s'approchant très près, mais comme il y a déjà eu l'affaire Gauguin, les élites et les autorités ne peuvent pas le chasser du paradis terrestre, Tahiti, on ne sais jamais avec ces gens là.


Art contemporain


Si vous tenez l'art contemporain pour un marché de gogos richissimes dont vous n'êtes pas, ni gogo ni richissime, un effet de mode à éviter, un "foutage de gueule" dont la seule valeur est marchande, vous tomberez peut-être quand même sous le charme de cette révolutionnaire tranquille qui assure ne plus faire de politique pour se consacrer à son art, démontrant ce faisant que l'art est politique et subversif de l'ordre établi, par essence.

Même en France on l'a refusée au cours de peinture de la Villa Arson, École Nationale Supérieure d'Art, au motif qu'une femme peintre ne peut pas faire carrière. Elle a donc fait carrière comme brodeuse qui peint, elle a pétri la terre informe et coulé le bronze, créé des jardins, inventé des installations et des performances, dynamité les bons usages de son pays d'origine où le nu féminin est tabou. Introduit en contrebande l'érotisme féminin, qu'on s'obstine à stigmatiser comme pornographique.


"Le cul est innocent, c'est la tête qui est coupable" disait Romain Gary et il ajoutait: la pornographie, c'est Auschwitz"


Photos et commentaires Jean Barak

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