La photographie est morte, dit-on, vive la photographie
Exposition Wim Wenders
Annonçons la couleur: jamais des rencontres internationales de la photographie ne furent à ce point décevantes.
Sans doute parce-que vous y croyez encore, que vous attendez d'un photographe qu'il vous donne à voir ce que vous ne voyez pas ou plus, de la beauté, du rêve, de l'insolite, de l'ailleurs. Un autre regard, un point de vue artistique. Pour la réalité nue il y a les rencontres de Perpignan, là où la photo et le réel cognent et se montrent crûment au risque vital du témoin. Le taux de mortalité des photographes et journalistes d'investigation est beaucoup plus élevé que la moyenne.
Hier encore en Arles vous trouviez toujours un diamant dans la mine, qui vous fasse penser "voilà pourquoi je suis venu". Que ce soit il y a deux ans Sabine Weiss ou bien avant une mexicaine autodidacte dont le travail vous bouleverse, il y a toujours eu à boire et à manger.
Pas cette année.
Bien sûr, Il y a le désespoir américain de Gregory Crewdson, les beaux reportages ethnographiques de Fréger Charles, qui vous interpellent.
Et les grandes rétrospectives, la Camargue et les gitans qui sont encore là.
A droite, Manitas de Plata devant l'objectif de Sabine Weiss.
Mais massivement, la photographie est devenu le prétexte à un récit pseudo artistique intimiste, voire nombriliste. Après vous être infligés la lecture des états d'âme de l'auteur, vous vous murmurerez in petto "Ah d'accord". Le discours sur l’œuvre tient lieu d'une œuvre qui ne se soutient pas sans discours, il n'y a aucune raison pour que la photographie échappe au naufrage de l'Art Contemporain.
Quoique la quantité soit là. L'accumulation et la diversité des rétrospectives thématiques fait un peu club photo, mais à ce niveau d'excellence, ça ne se trouve pas ailleurs.
Quoique, si vous êtes fanatiques de cinéma c'est un très bon cru : avec un peu de chance vous pourrez même y apercevoir Wim Wenders qui excite les journaleux comme des puces sur un galeux.
Le public se tient respectueusement à distance, les yeux agrandis.
Wim Wenders
Cinéma
Que son exposition soit un simple "storyboard" qui n'avait aucune prétention muséale, à part trois agrandissement de la pellicule de "L'ami Américain" c'est le prix de la célébrité, ce maitre du cinéma est une icône.
Il en est de même pour Agnès Varda, à tout prendre il s'agit aussi de pellicule, et en plus elle bouge! Du moins c'est ce que votre œil voit.
Ses photos de joutes provençales sont très honorables pour la photographe amateure sans prétention qu'elle assurait être, mais vous serez émus par l'image de deux géants disparus, Mylène Demongeot et Philippe Noiret, au sortir de l'adolescence. C'est le vrai coup de cœur de l'année.
Mylène Demongeot et Philippe Noiret par Agnès Varda.
Soyons juste, si le discours est roi et la photographie quasi absente de ces rencontre d'un troisième type, vous trouverez encore ici ou là quelques pépites pour vous consoler, comme ces étranges montages de Kulik Zofia dans cette chapelle des Trinitaires magnifique.
Avec elle, la photo devient un matériau de construction qui magnifie chaque pièce.
Si vous déplorez que "l'intelligence" artificielle ait remplacé l'humaine, que l'ordinateur ait pris le pouvoir, libre à vous de revenir au sténopé ou à la boite à chaussures, mais n'oublions pas que nos appareils sont depuis les années numériques des monstres de technologie. Personne ne s'en plaint, nous ne regrettons pas plus nos vieux boitiers en plastiques que notre première voiture à pédale.
Nous avons toujours le droit d'avoir un regard personnel, une démarche et une sensibilité artistique singulière. Nous pouvons encore guetter l'instant décisif, sans déclencher une rafale de vingt images par seconde. Comme disait Pierre Desproges "Je ne marche pas dans la mode, surtout pas du pied droit, ça porte malheur!"
Alors en Arles il vous faudra rechercher la photographie dans la marge, là où elle vit encore.
Dans le Off
Après "Chair de terre" et "chair de pierre", les créatures sylvestre fantastiques d'Alain Rivière-Lecoeur
Là ils y croient encore, ils payent de leur deniers, de leur temps et de leur personne.
Bien entendu ils ne refuseraient pas une aide, des invitations et des cimaises, voire et même la reconnaissance du cercle étroit des bancables du In, on ne vit pas de l'air du temps, l'art est un luxe qui nourrit rarement son Humain. Souvent ils et elles dépensent bien plus qu'ils et elles ne gagnent.
Les amateurs viennent rarement avec des liasses de billets plein les poches, ils viennent voir, aimer, s'inspirer, vibrer, découvrir.
Ceux qui ont les deniers de l’État calculent en notoriété, combien vais-je faire d'entrées, ceux qui ont l'or des riches collectionneurs calculent en prix d'acquisition et de revente.
Alors flânez.
Ou suivez les plans, vous n'en viendrez pas à bout.
Vos pas vous mèneront peut-être en Corée avec Anna Lim qui trouble la frontière entre réel et imaginaire, évoquant ses angoisse d'un pays coupé en deux et sous menace nucléaire, "Anxiété On/off"
Ou en Italie, Claudio Argentiero, un italien en Provence. Juste à côté de la billetterie du in.
Un Italien en Provence comme vous ne l'avez jamais vue.
Et marchez à l'ombre, la pierre accumule la chaleur, la ville devient un four, sinon vous risqueriez un coup de chaud ou une insolation. Si vous venez pour une journée, sachez que rien ne sert de courir, deux ne vous suffiront pas.
Faut-il oublier les Rencontres d'Arles?
Surement pas. Les Rencontres Internationales de la Photographie en Arles ont le mérite d'exister, et de ce seul fait de permettre à la photographie d'art de revivre là où elle la déclare morte sous les coups de leurs discours pompeux et de la technologie.
Juste à côté.
Une "bonne" photographie parle d'elle même, elle ne nécessite aucun blabla.
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