En danse contemporaine, tout est devenu possible. Cette liberté créatrice a permis l'émergence d'une multitude de créatrices et créateurs géniaux. Ou pas. Le répertoire est devenu infini, il ne cesse de se réinventer. Parmi eux, et elles, certaines réussissent encore à bouleverser même les plus blasés. La franco-japonaise Kaori Ito est de cette trempe, danseuse pour les plus grands mais également chorégraphe prolixe, son œuvre protéiforme vous déconcerte à chaque nouvelle pièce. Elle ne fait que commencer: on ne compte que quatorze pièces en quatorze ans. Un jour, les lieux de culte laïques de la culture et de la beauté ne seront plus interdits, et Kaori reviendra. Et le public sera là.
Kaori Ito et Théo Touvet embrasent la Danse
Avec « Embrase moi », second volet du triptyque commencé par « Je danse parce-que je me méfie des mots » et terminé par « L'amour à la Robote », tous trois présentés au KLAP de Michel Kelemenis, les deux artistes ont allègrement transgressé toutes les règles du genre.
Dans un festival militant rebaptisé « Plus de genres », ce n'est somme toute pas si surprenant, même si un danseur offusqué a pu déplorer qu'on y fasse autant de place à l'hétérosexualité.
Si une messe est dite, c'est celle du Cantique des Cantiques, poème érotique très surprenant dans ce livre aride qu'est l'Ancien Testament, de bruit et de fureur, long comme une punition.
« Tes seins sont comme deux faons jumeaux d'une gazelle » ou « Qu'il me baise des baisers de sa bouche ! Car tes baisers sont meilleurs que le vin » y peut-on lire.
Préliminaires
Un long préambule précède leur duo : dans deux salles différentes chacun des protagonistes raconte sa vie amoureuse et sexuelle, sans fards, ni artifices, ni euphémismes, comme il est rare qu'on s'exprime, même entre copines, les garçons sont généralement encore plus réservés. Le procédé dérange et bouscule, on ne se le permet que dans des soirées de contes très tardives, dûment classées « 16 ans minimum », mais là vous êtes prévenus. Une seule personne a quitté la salle de Kaori Ito, les rires des autres -avec Théo dans la salle contigüe- laissaient imaginer quelque surprise. Le public étant divisé selon des critères manifestement aléatoires, si vous vouliez savoir de quoi est faite l'expérience de l'autre, il vous faudrait revoir le spectacle ou demander aux autres de vous le raconter.
Nous ne déflorerons donc pas le contenu, même si la métaphore peut paraître osée.
Fusion
Suivait un pièce dont on ne sait plus si elle procède du cirque ou de la danse. C'est en réalité une parfaite fusion entre les deux disciplines comme entre les deux artistes, comme en atteste le rejeton souriant qui les accompagne dorénavant. On dira que c'est dans l'air du temps, la danse invite le cirque, le cirque invite la danse, après que le théâtre ait invité la danse et réciproquement. Mais c'est souvent du copié collé, la mayonnaise ne prend pas à tous les coups, tant s'en faut. C'est sans compter sur le brio de Théo et l'originalité radicale de Kaori dont aucune pièce ne ressemble à une autre. C'est, dit-on, toujours le même livre qu'on écrit, elle fait mentir l'adage.
Zigounette et pilou pilou
Cela aussi est mode tendance, ils se dénuderont fébrilement, jusqu'à retrouver l'innocence d'Adam et Eve avant le « péché » qui les a fait se découvrir dans leur nudité originelle, avant la honte puis la pudeur qui s'ensuivit. Quoi que nous fassions, nous n'échapperons pas aux références judéo-chrétiennes dans lesquelles nous baignons comme des cornichons dans leur bocal de vinaigre, ni aux hurlements des ligues de vertu. Eux oui, semble-t-il. Pour le Japon, il faut voir. C'est beau comme un Botticelli ou comme cette gravure de Léonard de Vinci qui s'inscrit dans un cercle parfait, une roue Cyr en l'occurrence, dont ils renouvellent...le genre. Confessions impudiques, nudité en pleine lumière, l'impudeur n'est que dans le regard du spectateur offusqué.
« Le cul est innocent, c'est la tête qui est coupable » écrivait Romain Gary.
Magnifique et troublant.
Photos et commentaires Jean Barak
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