« L'essentiel, c'est ce qui nous échappe ».
Devant le Pavillon Noir, Josef Nadj aide un oisillon tombé du nid à remonter du fond de l'escalier où il est tombé. Le sauvetage accompli, il s'assoit sur les marches, au soleil, et nous accorde un entretien.
Josef Nadj bonjour, vous êtes né dans un pays qui n'est plus la Yougoslavie, qui est aujourd'hui la Serbie mais qui, avant, était la Hongrie. Vous parlez plusieurs langues, vous vivez en France où vous dirigez une scène Nationale. Vous sentez-vous citoyen du monde?
C'est la langue maternelle qui détermine l'identité, je suis né hongrois, je me sens hongrois. Quoique je parle aussi le serbe et le français, mais c'est dans le monde du théâtre que je me sens chez moi, dans cet immense pays où il n'y a pas de problème de frontières ni d'origine. Le théâtre est ma véritable patrie.
Vous parlez de théâtre, pas de danse...
Ce que j'essaie de fabriquer c'est du théâtre, avec les moyens que je choisis, la musique et la danse, les beaux arts. Dès qu'il y a une recherche dramatique c'est une quête théâtrale.
Dans vos biographies on parle de vous adulte, quelle sorte d'enfance avez-vous vécu?
Très jeune j'ai découvert que j'étais doué pour le dessin, on l'a découvert autour de moi, c'était une évidence. Jusqu'à l'âge de vingt ans je n'ai fait que ça. J'ai découvert le théâtre de mouvement à Budapest, je pensais que ce ne serait que pour un temps, mais ça ne s'est jamais arrêté. J'ai découvert qu'on pouvait s'exprimer avec le corps, que j'avais sans le savoir le sens du mouvement.
Vous parlez du jeune adulte, pas de l'enfance..
J'ai aussi été marqué très jeune par la littérature, mon grand-père était un grand lecteur, et par le sport. J'ai pratiqué la lutte et le football. Le taï shi shuan est venu plus tard, à Paris.
Dans toutes vos pièces il y a des rituels d'adoration d'une divinité absurde et grotesque. Avez-vous vécu dans une milieu religieux?
Dans un milieu catholique mais je ne me sens pas marqué par ça. Par contre j'ai ce sentiment de rite perdu, de communauté humaine perdue. Le rituel est le ciment de la communauté. C'est quelque chose qui nous manque, alors le théâtre est un Dieu où reconstituer un rite qu'on puisse partager entre cultures différentes. C'est une nostalgie active.
Comme une recherche d'une mystique athée?
Oui, on peut dire ça. C'est la recherche d'un état aussi, d'une esthétique.
Inventer des codes est un travail ardu, le rite était le résultat d'un engagement collectif.
Il faut d'abord faire le travail seul, puis chercher des partenaires avec qui le partager.
Vous parlez d'esthétique et faites référence à Célan, juif roumain qui a écrit des poèmes sur la shoah en allemand. Comment l'esthétique peut-elle survivre à la représentation de l'horreur?
On n'a pas le choix, on doit traverser les épreuves.
les grotesques de Dürer m'intéressaient pour le côté initiation mystique et ses code secrets.
Chez Celan c'est autre chose, un dialogue avec une sorte d'âme universelle, une traversée de la dépression, une recherche d'absolu.
Votre pièce exprime une extrême souffrance qui mène jusqu'à la folie
Oui. Tout à fait. Mais on s'en sort; il faut accepter les épreuves, sentir la légèreté des ailes des anges, la spiritualité, l'âme qui est parfois mal à l'aise avec nous. Je ne dis pas avec le corps, je dis avec nous.
« Atem Le Souffle » est très lent et très dansé à la fois
C'est le choix de la densité de la lenteur, de travailler sur un espace temps différent, entrecoupé par des éclairs des lumières, traverser le noir, les profondeurs.
Survivre
Survivre, être prêt à se transformer.
Dans "Atem, le Souffle", vous avez une danseuse extraordinaire, Anne-Sophie Lancelin, votre danse est dans un déséquilibre constant, toujours à la limite de la chute...
Oui, c'est la recherche d'une aptitude à quitter l'axe, trouver le sens de la gravitation, revenir sur l'axe. C'est un équilibre qui est tout le temps en danger, l'ange est toujours au bord de la chute.
Dans vos pièces il y a une très forte présence de la féminité
Ca dépend, pas toutes. La présence, ou l'absence de la féminité, quand il y a deux hommes. Mais elle est toujours présente d'une manière ou d'une autre.
La femme dans « Le Souffle » est une figure christique, jusqu'à la crucifixion
Il y a trois transformations. Elle commence comme une sorcière, possédée, elle va vers une autre forme de partage pour revenir à la fin, angélique. L'homme n'a pas de forme au début, il reçoit une apparence qui fait retour vers celle du chevalier, il retourne au combat, il change de visage. Quand il enlève son heaume il enlève la peau avec.
Josef Nadj sourit:
Je ne cherche pas toujours à formuler, mes solutions sont sur le plateau.
Je ne vous torturerai plus longtemps, vous préparez une création pour juillet 2014...
C'est une reprise de « Paysage après l'orage » qui devient une création. Je reprends le solo mais j'invite un autre danseur et un autre musicien, c'est un double dialogue, avec le mouvement et avec les autres. Ca devient un paysage inconnu, à travers l'image on peut exprimer la complexité de la nature. C'est la recherche du tableau absolu, un minimum de geste avec un maximum de force.
vous êtes dans une quête de l'essentiel avec un mouvement de plus en plus épuré et minimaliste, si vous deviez le définir d'un mot ce serait...
La recherche. Ce qu'on cherche toujours.
L'essentiel, c'est ce qui nous échappe...
Ne pas abandonner.
Josef Nadj, merci.
Propos recueillis par Jean Barak
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