Si nous commencions par la fin ?
Tu montes une nouvelle création, « Barbe bleue », peux tu en parler ?
« Barbe bleue » n’est pas fini puisque c’est pour novembre à Châteauroux, pour l’équinoxe. C’est toujours difficile de parler d’un travail en cours, mais nous avons bien avancé, nous avons une structure d’à peu prés une heure dix.
C’est beaucoup pour des enfants puisque ce sont les petits qui dansent, des enfants entre sept et treize quatorze ans. Ce sera une pièce assez sombre, dans la ligne directe des anges, cet été. C’est une pièce dans laquelle nous parlons du conte qui est un conte cruel, difficile, on se demande même pourquoi ça a été écrit pour des enfants. Nous avons essayé de le lire d’une autre façon. Au lieu d’avoir un ogre qui mange tout sur son passage nous aurons un barbe bleue souffrant, qui arrive à des actes extrêmes parce qu’il n’a pas reçu l’amour qu’il attendait. J’ai analysé le conte à ma façon, la curiosité assez malsaine des épouses de Barbe Bleue m’a ramené au péché originel, Adam et Eve, je me suis dit qu’il pouvait être intéressant de renverser le conte et de montrer que s’il avait eu toute la confiance et tout l’amour qu’il espérait, il n’en serait peut-être pas arrivé là.
Sinath et Lola
Pourquoi la curiosité malsaine ?
Dans le sens ou elle est plus forte que l’amour qu’elle est sensée lui porter. Si l’amour est assez grand il est capable d’inhiber certaines parties de l’être.
La femme est connue pour être curieuse, peut-être aurait-elle pu faire un petit effort sur elle-même et ne pas aller voir derrière la porte. En même temps on dit que la curiosité est un vilain défaut, mais c’est aussi tout ce qui fait avancer. Donc tout n’est pas tout noir ou tout blanc. Ça m’a posé question que ce soit répétitif, systématique dans le conte, que sept épouses aient toutes transgressé les demandes de Barbe Bleue, c’est vrai qu’il ne leur demandait pas grand-chose. La curiosité en soi c’est vachement bien, mais il faut le remettre dans le contexte : il leur donne tout, la richesse, son amour, tout. Elles peuvent aller où elles veulent, faire ce qu’elles veulent, il n’y a aucun interdit sauf celui là.
C’est donc pour remettre en cause le poids de l’amour qu’elle est sensée lui porter, par rapport à sa curiosité.
Quoique en l’occurrence, ce qui est caché derrière la porte, c’est une série de meurtres…
Oui, mais qui sont tous réitérés pour la même raison.
A chaque fois, les multiples femmes de barbe bleue n’ont pas répondu à cette attente de confiance et d’amour. A chaque fois elles retombent dans le même travers. Je n’ai pas dit que c’était quelqu’un de formidable qui n’a ni tare ni défaut, mais je me suis juste interrogé sur ce côté-là.
Après nous essayons d’éluder l’aspect psychologique, sinon nous allons faire du théâtre et ce n’est pas nécessairement de mon ressort.
C’est vraiment un spectacle de danse, une création dans laquelle les enfants dansent beaucoup, où j’ai essayé d’attraper une partie du féminin. Je n’irais pas jusqu’au côté malsain parce que ce sont des enfants, et en aucun cas je ne ferais aller des enfants et des adolescents dans ce sens, je me l’interdit complètement. Par contre nous avons tenté d’inverser la vapeur. Les Barbe Bleu sont plutôt des être souffrants, en demande, fragiles, ils en arrivent à la position de meurtrier à cause de ça.
Les femmes sont plutôt des petites jeunes filles assez fortes, assez convaincantes, elles prennent les choses en main, ce sont elles qui décident, qui arrivent à leurs fins.
Je ne dévoilerais pas la fin mais elle est poétique, allégorique, nous n’allons pas voir des monstres sanguinaires.
"Spectres" 2015
Là c’est un travail sur le conte, la pièce que tu as présenté il y a trois jours dans le cadre de « Danse à Aix » est plus métaphorique…
Oui. Nous nous sommes intéressés très spécialement à un thème que je n’ai jamais abordé, sauf peut-être une demi-fois en tant que tel : le malaise au moment de l’adolescence. Encore une fois je me méfie énormément de moi et de ma propension à la narration.
C’est pourquoi dans « Tonight » j’ai voulu casser l’histoire en faisant de multiples histoires et de multiples personnages principaux, puisque chacun l’est à un moment ou à un autre. Là, avec les adolescents, j’ai essayé de ne pas proposer d’histoires mais de travailler dans le corps. Je me suis demandé comment transposer ce malaise tout en restant très chorégraphique, je n’avais pas envie de ne travailler que sur des situations. Ça aurait pu être intéressant aussi, mais ce n’est pas à moi de le faire.
Par exemple une bande de garçons attaquent une fille et ce qui en résulte, je n’en avais pas vraiment envie. C’était l’inscription de ce malaise dans le corps qui m’intéressait, comment çà s’exprime à cet âge là, avec le regard sauvage qu’ils peuvent avoir.
Deux ans avant ce n’est pas possible, deux ans après ce n’est plus possible de le danser. Je suis sûre que si je la donne à mes professionnels ça n’aura rien à voir. Il y a une sauvagerie qui le leur permet, même si c’est très chorégraphié.
Je reste tout de même dans la lignée des chorégraphes qui aiment la chorégraphie, dans le sens du mouvement, de l’énergie, le déplacement. J’ai donné des thèmes comme le tremblement, le corps étiré jusqu’au délire, le désir. Nous avons improvisé, puis nous avons cherché à le transcrire dans le corps.
"Welcome" 2014
C’est une écriture qui est surtout la tienne, jusque-là tu donnais plus de place à celle des enfants…
Oui et non. Si on se replace dans le contexte de l’histoire de Grenade qui dure depuis quinze ans, ce qui me paraissait important pendant ces années c’était de me fondre dans le corps et la vision de ces enfants là. Ce que j’avais à dire, je n’avais pas forcément à le dire avec eux. Ils avaient eux même tellement de choses à dire sur ce qu’ils vivaient dans leur quartier ou ailleurs, leurs joies, leurs peines, ce métissage des cultures que nous avions envie de faire, que nous avons parlé de ça pendant quinze ans. Comment des enfants de toutes races, de toutes ethnies pouvaient-ils danser ensemble, comment trouver une danse qui accepte de se métisser ? Le gros problème de Grenade ces quinze dernières années était d’accepter qu’un Cambodgien danse avec un gitan. Nous avons vraiment travaillé sur les aspects ethniques.
Du coup, ce n’est pas que je n’avais rien à dire, c’est que je ne m’autorisais pas, je n’en avais ni le besoin ni l’envie. Mais c’est clair que j’influe : quand dans « La vie en rose » je parle d’extra terrestres qui viennent donner des messages à la terre, même si les messages viennent des enfants, c’est vrai que j’influe tout le temps. Nous avons créé des pièces avec un esprit de comédie musicale, mais là je sens que nous sommes dans une autre époque avec « On n’est plus des anges ». A partir du moment où nous avons vraiment beaucoup cherché à propos de métissage des cultures, tous les ingrédients qui ont fait que Grenade a existé pendant quinze ans, nous pouvons maintenant aller vers des thèmes plus bizarres ou plus intérieurs, comme l’adolescence, ou encore aller chercher l’étrangeté.
L’aspect pluriethnique est toujours très présent dans notre façon de bouger mais plus du tout dans le thème des trois prochaines pièces : « On est plus des anges », le malaise de l’adolescence, « Barbe Bleue », la cruauté et l’incompréhension de la femme envers l’homme, et vice-versa bien sur, et le troisième avec la compagnie, « Duplex », où nous allons carrément monter de grands murs autour des danseurs et travailler sur le thème de l’enfermement dans sa plus grande véracité, puisque c’est un enfermement quasi réel.
"Amor" 2018
N’est-ce pas une écriture plus contemporaine, plus identifiée, plus identifiable comme telle ?
Je pense qu’on peut le dire. Dans le monde de la danse contemporaine j’ai toujours été un peu en dehors des règles, j’ai un aspect peu académique, nous travaillons des danses extrêmement périphériques ou diverses, parfois je peux avoir un travail assez théâtral, parfois pas du tout, je cherche dans des limites qui sont les miennes mais souvent aux antipodes, je suis très difficilement repérable, hormis le fait que les gens m’ont identifiée comme quelqu’un qui faisait danser les enfants des quartiers. Ce qui est tout a fait vrai.
Il y avait à la fois une dérive de certains qui aiment bien les casiers, « Josette Baïz, un travail socioculturel », ce qui n’est pas non plus complètement faux puisque pendant des années il était plus important pour moi qu’un petit malgache et un petit comorien puisse dire leur joie de vivre et la joie de danser, il y avait donc forcément un aspect socioculturel. Mais si nous avons été autant programmés depuis quinze ans, c’est tout de même que la qualité est là. Si ce n’était que cela nous n’aurions pas autant de scènes nationales et internationales qui nous accueillent chaque année.
Les gens n’ont pas forcément évolué avec nous, parce que nous avons évolué. La prochaine pièce, « Duplex », est complètement contemporaine. Ça ne veut pas dire qu’on renie tout ce qu’on a fait, mais que c’est suffisamment fondu en une seule énergie pour qu’on puisse travailler sans avoir besoin de revendiquer ça. On le voit déjà sur les anges, il y a très peu de hip hop pour le hip hop. Quand les garçons font leur entrée dans la deuxième scène, il y a autant de contemporain que de hip hop. La manière dont ils se jettent au sol c’est le thème de la souffrance qui a été dominant. Même si chez nous ils prennent des cours de classique de hip hop de contemporain etc., ce n’est pas du tout ce que nous avons mis en avant, on ne pourra pas nous reprocher ça.
A la suite, logiquement, dans « Barbe Bleue » les petits ont du prendre le virage comme nous. Il y aura encore moins de hip hop dans « Duplex ».
Je ne le regrette pas : l’improvisation et le travail sur soi m’intéressent maintenant, plutôt que ça.
"Tonight" 2008
Je ne vois pas en quoi partir d’un travail social pourrait être péjoratif, amener des enfants à un tel niveau de professionnalisme n’en est que plus un exploit. Justement, peux tu parler des touts débuts de ton travail ?
C’est parti d’une demande du ministère de la culture qui m’avait demandé de monter une opération dans les quartiers Nord de Marseille, j’ai accepté à la condition que ce soit avec des enfants. Je ne me sentais pas d’aborder un public d’adolescents ou d’adultes dans les quartiers.
Nous avons travaillé avec une école, réalisé un film, et je me suis rendu compte qu’il y avait une envie, une souffrance, une jubilation, un énorme mélange de sentiments dans ces quartiers nord. Ça me ramenait à quelque chose que je connaissais bien, je me sentais très à l’aise. Et pour n’avoir pas été aussi à l’aise dans le milieu de la danse contemporaine qui reste pour moi une énigme, j’avoue que je me suis retrouvée très bien là bas, avec eux. C’est comme ça, en faisant un film et puis deux, parce que Aix m’a aussi demandé de réaliser un projet, et un premier spectacle. Ça s’appelait « Le secret d’Émile », ça avait déjà à l’époque un petit air de modernité : les enfants avaient sept, huit-dix ans, et ils dansaient sur du Chopin et du Ravel une danse métissée de hip hop et de contemporain. Nous avons tout de suites fait ça.
Cette façon de faire nous a valu tout de suite un engouement du public et des programmeurs.
Ce qui est magnifique dans l’histoire de Grenade c’est qu’il y a des gens qui nous suivent depuis quinze ans, ils étaient encore là, aux "Anges".
Ils ont vu les enfants quand ils avaient sept ans et ils les voient devenir des professionnels. C’est une belle histoire qui dure et qui a pu voir le jour parce qu’il y avait une exigence de ma part, qu’on me reproche parfois aussi. Ce serait trop technique ou trop chorégraphié en regard de ce qui se passe dans la danse contemporaine actuellement.
Nous sommes partie prenante de ce fait là, depuis des années nous créons et nous avons la chance que ça marche. Nous avons des salles quasi pleines tout le temps, pas seulement à Aix, partout. Mille cinq cent personnes à Saint Brieux, mille deux cent à Vannes, nous ne savons pas pourquoi. Il y a des régions qui nous connaissent bien, mais ce phénomène se produit partout où nous allons. Ce sont des enfants qui dansent, mais pour la compagnie c’est pareil.
Je ne sais pas ce que ce groupe trimballe, peut-être une force vive et un message de respect, de communications entre les ethnies. C’est peut-être ce qui fonctionne, en dehors de la rigueur qui nous permet également d’exprimer des sentiments dans la danse.
"Eden Club"
En regardant ton travail j’ai appris qu’il n’y avait pas un, mais des publics, que tu avais un public très populaire et extrêmement fidèle. Là encore populaire peut être péjoratif, ou au contraire entendu comme une large ouverture de la danse vers des spectateurs qui ne sont pas ceux coutumiers de la danse.
La danse est divisée en deux, les gens les plus pointus, les journalistes, les programmeurs, les institutions, avec nous c’est tout l’un ou tout l’autre. Ou « C’est génial, professionnel, une présence chez ces enfants…», tout le monde l’a dit sur le Gallotta.
Nous avons fait là quelque chose d’aberrant, faire danser des touts petits sur une partition écrite pour des adultes, nous atteignons là un summum d’étrangeté. Les gens disent « c’est magnifique » ou « qu’est-ce que c’est que cette danse jubilatoire à la Benetton ? » parce qu’il y a beaucoup de couleurs chez nous. Parfois ça gène. Je ne sais pas comment les gens le reçoivent mais c’est divisé. Nous avons aussi les profs qui sont intéressés par ce que nous faisons avec les enfants, ceux des collèges, nous savons tous que c’est un âge extrêmement difficile, mais qu’ils font déjà à cet âge là des choses extraordinaires. On les demande partout pour faire des démonstrations, des échanges avec les collégiens, ça donne de l’espoir à tous ces jeunes là. On dit « le côté populaire c’est formidable, l’accès à la danse contemporaine n’est pas forcément aussi facile avec d’autres compagnies » ou alors « scandale, elle fait des salles pleines », qui dit salle pleine dit complaisance pour une partie de la danse contemporaine. Si le public aime, c’est forcément que c’est facile.
"Welcome" 2014
Voire et même racoleur...
Tout à fait, alors qu’on confond l’énorme envie de ces enfants de danser, ce qui fait des pièces jubilatoires. J’ai très longtemps pensé que dans ce groupe ce n’était pas la peine de leur remettre la tête sous l’eau, ils l’avaient suffisamment, je n’étais pas là pour ça.
J’étais là pour qu’ils expriment des émotions poétiques ou joyeuses, c’est pour ça que j’ai fait « Trafic », « Time Break », « La vie en rose ». Une partie de notre travail était axé sur de choses très jubilatoires.
Maintenant je ne vais pas pleurer parce que ça marche bien.
Si on regarde les prévisions pour cette année c’est incroyable, donc je ne vais pas crier au scandale.
Au bout d’un moment il faut arrêter, au début je comprenais tout à fait qu’on puisse me dire « attention » à partir du moment ou on travaillait sur le hip hop, la danse orientale et dans des franges ethniques, c’était tellement ciblé. Nous étions aussi extrêmement collés à la musique, c’est le gros problème que nous avons avec les adolescents, ils adorent danser sur la musique.
Dans les pièces que j’ai faites sur de la musique classique j’ai essayé de les éloigner de ce rapport là, ce n’était pas toujours facile. Sur les "'Anges" il y a très peu de moments sur la musique. C’est un travail d’improvisation, les trois quart du temps sans musique, même dans les ensembles où ils sont vingt. Nous avons travaillé avec une atmosphère de « News » d’un côté, un groupe rock lyrique, et de l’autre le malaise des danseurs. On a mis tout ensemble. Ça nous a tout de même atteint pendant des années parce que nous avions le sentiment de faire un travail sérieux. Ce n’est pas facile.
Comme disais José Montalvo qu’on a attaqué sur le côté humoristique de ses pièces « ne croyez pas que c’est facile, faire de l’humour est la chose la plus difficile qui soit ». C’est plus facile de faire des pièces dramatiques que légères. Nous avions la chance d’avoir des danseurs très gais, très amusants, qui avaient besoin de sortir de leurs problèmes personnels, et toute l’époque jubilatoire était nécessaire. Maintenant nous n’en avons plus besoin, nous n’en sommes plus au même stade, nous n’avons plus rien à prouver en faisant cela, nous allons vers des choses plus intimistes.
"Les Araignées de Mars"
En même temps, cet aspect jubilatoire, que les gosses soient heureux de danser, je ne vois pas en quoi c’est péjorant.
C’est pareil, en France il y a une très grande réserve sur ce qui est humoristique, jubilatoire, et à la limite tout ce qui est gai. A plus forte raison maintenant.
J’ai l’impression qu’avec l’apparition de la « Non danse » et la non représentation, depuis quelques années on est passé à un autre stade, on n’est plus sur du sentiment, on s’interdit même le moindre soupçon de sentiment.
Nous sommes à une ère de technologie où les chorégraphes se servent de la vidéo, des arts plastiques, ils s’appuient sur des rencontres formidables, je ne met pas du tout ça en cause, ni même le phénomène de la non danse, parce que c’est tout à fait bien que les gens posent des questions comme ça.
On les a posé en soixante dix, quand Simone Forti ou Trisha Brown commençaient à danser d’une façon bizarre, tordue et non académique, ça avait provoqué des réactions terribles. Les immobilités dans le trio d’Yvonne Reiner c’était une révolution post moderne incroyable, même par rapport à Cunningham. On l’avait déjà fait, et là on le refait.
Cette fois ci ça va plus loin dans le non sens, ça n’engage que moi, mais il me semble qu’on va dans une recherche où il ne faut plus dire quoi que ce soit. On est dans une espèce de recherche qui est de la non recherche. Ça va loin dans l’apologie du vide. Encore une fois pourquoi pas, mais qu’on ne me demande pas de faire ça.
Qu’on ne le demande pas aux chorégraphes qui aiment le mouvement, le sentiment et l’émotion, je suis une chorégraphe de l’humain. Je ne travaille pas sur des données d’art plastique, ça pourrait m’arriver, mais mon propos c’est de travailler sur les êtres humains. C’est au point que s’il n’y a pas quelqu’un sur une affiche, je suis mal. J’ai besoin d’avoir des corps, des visages, des gens. Ce sont les gens qui m’intéressent. Dans « Barbe Bleue » nous avons des tout petits de sept ans qui ne savent pas mettre un pied devant l’autre, mais quand ils se retournent et regardent le public, à ce moment là on a tout d’un coup une intériorité qui nous est balancée de plein fouet, qui est peut-être plus importante que la chorégraphie qu’il aura faite avant. C’est ce qu’il exprime à ce moment là, ce petit. Ce sont des choses qu’on n’a pas l’habitude de voir sur scène.
Sans aller dans l’aspect malsain, parce que c’est à la mode d’aller chercher dans la sexualité, je ne le ferais pas avec des enfants et des ados, mais Je resterais une chorégraphe de l’humain, même si ce n’est pas à la mode, et même si je n’utilise pas tout l’appareillage vidéo. Je resterais comme je suis et je continuerais à travailler comme ça.
Tu es peut-être la seule chorégraphe à travailler exclusivement avec des enfants, même s’ils ont grandi et qu’ils sont devenus des adolescents et de jeunes adultes. Que cherches tu auprès de l’enfant ?
Ça c’est une grosse question.
D’abord il faut dire que je m’entends extrêmement bien avec eux, il y a une grosse part d’enfance qui est restée bloquée en moi, qui est là et qui ne veut pas disparaître. Avant je ne m’entendais pas du tout avec les adultes, maintenant ça va.
"Oliver Twist"
As-tu un peu grandi ?
J’ai un peu grandi, je vais peut être arriver à l’adolescence avec tout ce retardement. Je m’entends bien avec eux, même artistiquement.
Parce que l’enfant a une folie primaire, si on se met à quatre pattes pour aller chercher quelque chose il se met à quatre pattes, il est mort de rire, il ne filtre pas les informations. Je suis comme ça aussi, si il me dit quelque chose je vais essayer de le ressentir dans mon corps, je ne vais pas passer par l’analyse.
Ce doit être l’une des choses qu’on me reproche, je suis un peu à l’emporte pièce.
J’aime chercher avec les enfants, j’aime ce qu’ils me proposent, leur façon de me rembarrer, ils ne prennent pas de gants et c’est très bien.
Ils vont dire « c’est moche » ce côté un peu brut me va très bien. Et puis il y a une poésie de l’enfance qui est magique. J’ai des regards d’enfant sur des photos, plus ils sont petits et plus c’est magique.
Là je suis contente de faire un travail avec les petits, parce que pendant un temps ils ont été mélangés avec la compagnie qui est assez forte dans ses propositions, les petits étaient sous leurs ailes protectrices, maintenant ils sont au feu tout seuls. Les adolescents ont prouvé qu’ils en étaient capables, nous allons voir s’ils peuvent proposer quelque chose tout seuls. Un spectacle de une heure dix mené entièrement par des enfants de A à Z, sans qu’un adulte vienne au milieu leur dire que faire, qu’ils se prennent en charge du début à la fin, ils savent très bien ce qu’ils doivent donner comme émotion et pourquoi, par rapport au conte de Barbe Bleue, c’est extraordinaire.
Et il y a les regards, j’ai des petites filles qui ont des regards qu’on ne trouvera jamais chez des adultes. Ce n’est pas possible. Ce regard là de fragilité, de folie, de force, d’intuition, tout ce qu’on a à l’enfance de tellement merveilleux que je n’ai pas envie de le lâcher.
"Ulysse"
Il y a justement un côté naïf dans ton travail, mais au sens étymologique : qui vient de naître…
Tout a fait et nous le revendiquons. Après, évidement, nous allons passer des improvisations à l’analyse, nous sommes bien obligés, nous sommes comme des artisans, nous remettons sur le tapis, nous travaillons notre matériaux. Un côté naïf et artisan, oui.
Une question naïve : pourquoi la danse ?
C’est très curieux : à dix ans je me suis mise à faire des spectacles. Ce n’était même pas danseuse qui m’intéressait, c’était faire des spectacles. Je prenais des enfants, j’ai toujours fait ça. Il n’y a que ça qui m’intéresse. Il n’y a pas que la danse, je m’intéresse aussi à la peinture, à la musique, mais pour moi c’est la danse et la chorégraphie. Si la réincarnation existe je devais faire ça avant : si je ne crée pas, je meurs! J’ai l’impression de mourir !
J’ai quatre créations en cours et je me sent bien comme ça, une ce n’est pas assez, j’ai besoin d’avoir mon matériaux humain, de refaire, de changer de place, de changer subitement de mouvement, de qualité, je faisais ça à six sept ans, si je ne danse pas j’ai l’impression que je vais mourir.
"Vingt Ans"
Que vis tu avec les enfants ?
Etant fille unique, en avoir plein autour de moi ça compense, je me suis recréé une famille, j’ai besoin d’avoir tout ce monde autour de moi. Il y a une fraîcheur et une folie douce avec les enfants qui me permet de garder ce côté qui m’a peut-être manqué à l’époque, qui m’est rendu au centuple.
Tous ces regards d’enfants… en fait on se remercie mutuellement. Ils sont tellement heureux de faire ça, ils ont tellement une belle vie, je suis tellement heureuse de pouvoir leur faire plaisir et qu’ils me rendent toute cette affection, que tout d’un coup il y a un cycle infernal qui se met en place.
Pourquoi infernal ?
En ce sens que ce n’est pas prés de s’arrêter, c’est l’enfer pour tous les autre derrière, notamment l’équipe, parce qu’il faut assurer nos folies successives. Nous n’avons pas du tout l’argent pour faire ce que nous faisons, on se débrouille avec des bouts de ficelles. Les gens croient que nous sommes très riches, ce n’est pas du tout vrai.
Avec soixante et quinze enfants danseurs qui tournent c’est l’enfer, il faut assurer les transports qui vont les chercher dans les quartiers, les tournées avec vingt vingt-huit enfants, c’est très compliqué, mais tellement bien que je n’arrêterais pas de sitôt.
"Guests"
Et une question annexe, qui aimes tu dans la danse ?
J’étais une grande « fan » de Forsythe, pour la folie technicienne, j’aime ce qui bouge vite et qui bouge bien. Actuellement il est sur autre chose, c’est très intéressant mais ce n’est pas ce que je préfère de lui. Sinon ce que j’ai vu cette année m’a vraiment posé question, sur le non sens.
Je n’ai pas aimé les pièces récentes des gens que j’ai beaucoup aimé. Ou c’est moi ou c’est eux, mais il y a un problème. J’aimais beaucoup Sidi Larbi Cherkaoui, Wim Vandekeibus, de Keersmaeker, tout est un peu comme ça. Je me dis que c’est une époque, je ne sais pas ce qui se passe, on dirait qu’ils ne veulent plus utiliser le corps comme avant, ça me plait moins.
Sacha Walz. Les trois âges de Jean-Claude Gallotta.
Ça m’a beaucoup plu de faire ça avec les enfants. J’aimais bien Decouflé, Chopinot, Saporta, jusqu’en quatre vint dix. J’ai l’impression d’être d’une autre époque. « La La Human Step » des canadiens, les belges, et Sacha Walz.
"Gare Centrale"
Pour boucler la boucle, ce travail social va-t-il continuer ?
Oui nous continuerons tant que les institutions nous aideront.
Nous travaillons avec deux écoles, le collège Barnier, et une école à la cité Besson. Ce n’est plus moi en personne mais les danseurs de la compagnie, neuf sur quatorze ont le diplôme d’état. C’est pratique parce que notre travail est particulier et qu’ils l’enseignent très bien.
Ça continue exactement comme avant, nous croisons les doigts pour que les institutions continuent le financement pour envoyer nos profs. Notre plus grand bonheur ce sont nos quatre petits cambodgiens, nos petites filles noires, il y en a plusieurs dans la compagnie qui ont réussi à devenir professionnelles, à persister dans ce métier.
Avec de belles histoires comme ça, nous sommes heureux.
Merci Josette.
Propos recueillis en 2006 par Jean Barak
"Tonyght"
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