Dada Masilo est enfin de retour, après une pandémie mondiale qui a éreinté le monde de la culture mais pas que lui, à l'évidence. Les mesures sanitaires auront probablement causé à terme plus de ravages sur la santé comme sur les libertés publiques et individuelles que la maladie elle même, sauf pour les plus riches qui se sont enrichis vertigineusement. Comment nommerions nous l'inverse du ruissèlement?
Quoi qu'il en soit, après un ultime report pour cause de test positif, traduisez de danseurs présumés "malades" en parfaite santé, les deux représentations du "Sacrifice"ont bien eu lieu au Pavillon Noir, avant que la Compagnie ne migre vers Limoges fin mars, puis vers la Belgique, la Hollande et l'Allemagne en avril.
Dada Masilo
Née en 1985 dans le township de Soweto, elle porte sur son corps la marque de ceux qui ont du survivre, comme dans ses combats. Engagée dans tous les causes humanistes à travers sa danse plus que ses discours, elle dénonce la haine raciale -l’apartheid politique a disparu au bénéfice de l’apartheid social et culturel- les discriminations sexistes, les mariages forcés, la condition des femmes, et tous les préjugés.
Elle se forme à la danse classique et contemporaine, intègre la Dance Factory de Johannesburg, puis la Compagnie de Anne Teresa de Keersmaeker à Bruxelles. Mais elle ne peux pas rester enfermée dans ce moule intellectuel aride, l'Afrique du Sud bouillonne dans ses veines.
Comme elle a tout appris de la danse, il ne lui reste plus qu'un monde à inventer, et elle le fait.
Petits rats
Son Lac de Cygnes a fait pleurer de rire le public du Pavillon Noir, avec ses petits rats et ses gros rats de l'opéra en tutu, passant du classique le plus pur à la danse africaine la plus débridée sans qu'on n'y prenne garde. Elle s'est ensuite attaquée aux grands classiques, Roméo et Juliette, une Carmen noire de Soweto à mourir, La Jeune Fille et la Mort, Gisèle, très "Case de l'oncle Tom", puis enfin le Sacrifice.
C'est sans aucun doute sa pièce la plus africaine, la plus ancrée dans ses racines culturelles, tant par la forme que par le fond.
Sacrifice
Elle s'inspire très librement du livret de Stravinsky où, dans un rite sauvage, une tribu imaginaire choisit l'élue parmi les jeunes filles, celle qui va être sacrifiée. Mais également du Théâtre Danse de Pina Bausch dont elle a étudié le "Sacre" à Bruxelles. Suivant les interprétations, l'élue sera violée ou assassinée, ou elle dansera jusqu'à la mort.
Selon un rite polynésien interdit par le colonisateur blanc, la jeune fille prête au "sacrifice", après l'avoir signifié à ses prétendants, s'enfuyait. Au bout de la course, le plus rapide et le plus fort la "mariait" sur le champ. Ce n'était pas du tout catholique.
Du néolithique jusqu'à l'antiquité, dans toutes les civilisations le sacrifice humain rituel était pratiqué pour s’attirer les faveurs des Dieux. Si le sacrifice des jeunes vierges est peut-être une légende, les sacrifices humains ont perduré jusqu'à nos jours, pour des motifs de moins en moins religieux et de plus en plus politiques. Avant on vous arrachait le cœur encore palpitant par centaines, aujourd'hui on envoie des missiles supersoniques sur des maternités.
Animalité
Le Tswana Dance du Botswana est une danse rituelle frénétique basée sur l'imitation du mouvement des animaux. A la base, rituel pour les mariages ou les naissances, les femmes et les hommes de tous âges y participent vêtus de peaux de bêtes, en ligne ou en cercle, en groupe en solo ou en duo. Aujourd'hui la danse de brousse et de savane est devenue danse des townships et danse urbaine, danse spectacle sur les grandes scènes, elle a perdu en fraicheur ce qu'elle a gagné en technique. C'est le prix de la modernité mais également la perpétuation d'une culture, d'une identité.
C'est inscrit dans les gènes de Dada Masilo, même si en l'occurrence les gènes ont bon dos. C'est une petite bombe thermonucléaire, prêtresse hiératique à la nudité sublime ou vif argent, sa présence est telle qu'on ne voit plus qu'elle, il faut qu'elle quitte longtemps la scène pour qu'on remarque l'excellence des autres. Ajoutez trois musiciens sur scène et une chanteuse au coffre immense à la voix magnifique, l'humour et la joie de vivre, alors vous saurez qu'un spectacle de Dada, ça ne se manque sous aucun prétexte. Une bouffée d'humanité dans ce monde génocidaire.
Photos et commentaire Jean Barak
Comments