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Mathilde Monnier



Mathilde Monnier bonjour. Depuis 1993, vous dirigez le Centre national Chorégraphique de Montpellier. Pourquoi avez vous accepté une telle responsabilité ?


Il est difficile de refuser un tel cadeau. Je dirigeais alors une compagnie indépendante, en cours de construction. Je ne me rendais pas du tout compte de la responsabilité que l’on me demandait d’assumer. On ne peut pas savoir ce qu’est la direction d’un centre chorégraphique avant de commencer. Je suis partie très insouciante et ce n’est qu’au fur et à mesure des années que j’ai réalisé la nature de mes responsabilités.




Pourquoi avez-vous abandonné votre compagnie, lorsque vous avez commencé à diriger le centre chorégraphique, au profit de compagnies non permanentes ?


Ce n’est pas un véritable abandon, j’ai simplement choisi une nouvelle manière de travailler. Plutôt que d’avoir des danseurs permanents comme dans un corps de ballet, j’ai opté pour la formule du groupe, du collectif. En fait, je ne ressentais plus aucune nécessité d’être dans ce rapport d’habitude où le plaisir n’est plus renouvelé. Un certain nombre de mes danseurs sont toujours là, ils travaillent sur mes projets. Mais comme ils ne sont pas permanents, je peux aussi me permettre d’inviter beaucoup d’autres artistes.




Cela fait presque dix ans que vous dirigez le centre chorégraphique. Qu’est ce qui vous intéresse aujourd’hui ? Quelle philosophie est derrière cela ?


Vous savez, cela ne s’arrête jamais. On ne trouve pas un jour une formule pour enfin se reposer dessus. Au même titre que les pièces chorégraphiques sont un renouvellement permanent, je tente d’être très sensible à tout ce qui se passe. J’essaie d’être un lieu d’accueil qui réponde aux attentes, aux besoins, aux aspirations et aux différentes façons de travailler.

Nous ne devons pas rester enfermés dans notre citadelle, mais au contraire faire vivre un lieu de manière extrêmement sensible.




Qu’est ce qui vous plaît plus particulièrement dans ce que vous voyez de la création contemporaine ?


Ce qui m’intéresse : que les gens fassent ce qu’ils ont envie de faire ! Qu’ils soient au plus près de leurs projets ! Pour cela, il faut créer des conditions de création qui ne soient pas immédiatement dans un rapport de production ou de diffusion. J’essaie de leur donner du temps, un temps qui ne soit pas productif immédiatement. Ce vrai temps de travail me semble être un luxe dans notre quotidien où tout doit être utilisé, instrumentalisé.




Qu’interrogez vous dans la danse, dans le danseur ?


J’interroge sa singularité, toujours. Cela m’intéresse plus qu’un style particulier. Je travaille comme un cinéaste.

Je crée des pièces pour des personnes de la même manière qu’un cinéaste va imaginer des scènes pour un acteur. Tel danseur, telle danseuse m’inspire, m’interpelle. Quelqu’un me donne une idée particulière et je travaille pour lui. Comme un cinéaste, j’approfondis des thématiques.


Quelles thématiques?


Ça dépend. J’ai travaillé sur la communauté dans les « Lieux de là », spectacle présenté à Marseille. J’ai travaillé sur ce thème plusieurs années. Il était aussi au cœur des préoccupations du centre chorégraphique national de Montpellier. Des thèmes m’inspirent comme ça pendant deux ou trois années, je les suis et ils me suivent…


Y a-t-il un lien entre la recherche de l’intime, lorsque vous écrivez pour une personne en particulier et la préoccupation sociétale, avec votre travail sur la communauté?


Ce sont des choses inséparables. La société abstraite n’existe pas. Une société est faite des gens qui la composent, autonomes, qui portent une vision de la société. Il n’y a que cela qui m’intéresse, tout le reste est abstraction. Le nivellement et la ressemblance me semblent aujourd’hui quelque chose de dramatique. Ce qui se profile à l’horizon : on mange de la même façon, les jeunes filles s’habillent toutes pareil… Alors que justement ce qui est intéressant, c’est la diversité et la différence ! Je travaille toujours sur la différence.


Le travail artistique a-t-il un sens?


Pour moi, il en a un.

Cela donne un sens à mon travail. Reconnaître la différence de l’autre, c’est aussi reconnaître sa propre liberté, savoir où elle s’arrête et où commence celle de l’autre. Pour moi, ce chemin est important.




Vous êtes très engagée auprès des intermittents du spectacle, que pensez-vous de ce qui se passe actuellement ?


Je ne sais pas si je suis très engagée. Je me suis retrouvée impliquée au moment du festival de danse de Montpellier, c’est alors que les choses se sont engagées. On pourrait dire que je suis tombée dedans ! Du coup, le jour « J », j’étais très sensible aux mots des artistes nous alertant sur les problèmes à venir. Aujourd’hui, il est devenu nécessaire de voir à long terme et d’éviter la précipitation. Cette mobilisation a eu des aspects positifs, mais elle a aussi connu des échecs. Il nous faut désormais prendre plus de temps pour s’impliquer politiquement et pour produire des engagements d’un autre ordre. On ne peut pas tout le temps être dans la même vitesse de mouvement.



L'artiste a-t-il une fonction?


L’artiste n’a pas de fonction. Il se définit justement par le fait d’être hors fonction, contrairement aux métiers ayant des fonctions très précises. L’artiste est insaisissable. Il peut être partout. Mais je ne le différencie pas tellement du citoyen. Je ne le mets pas sur un piédestal. L’artiste, c’est une des composantes de la société. Il est dans la société et sa fonction est multiple.



Ce ne sont pas pour vous des « gens d’ailleurs » comme dit Léo Ferré ? Ce sont des gens comme les autres ?


Des gens d’ailleurs, il y en a plein et dans tous les métiers. J’en rencontre souvent. Dans toutes les professions, il y a des gens qui me fascinent ou m’émerveillent, alors qu’il y a parfois des artistes très chiants et très conventionnels !


Quel est votre rapport aux maîtres ?


C’est une grande question. La relation aux maîtres vous suit toute votre vie. C’est quelque chose que l’on ne résout jamais. Ces ombres, ces présences nous accompagnent et l’on ne cesse jamais de tenter de les comprendre. On veut les mettre à un endroit précis sans jamais y parvenir.

Le travail que j’ai mené sur Merce Cunningham, puis sur Viola Farber, est une manière de les revisiter sans cesse.

Le plus étonnant, finalement, c’est que les maîtres nous accompagnent toute une vie et constituent toujours une richesse et une ressource incroyables.



Il y a l’écriture chorégraphique et l’écriture des mots, cette dernière a-t-elle un sens pour vous ?


L’écriture a beaucoup d’importance dans mon travail. Je dirais même une importance prépondérante. Je travaille beaucoup sur les mots, à partir d’eux. J’ai la chance d’avoir une correspondance quasi quotidienne avec le philosophe Jean Luc Nancy.

Depuis trois ou quatre ans, cet échange est devenu une longue conversation alors même que je ne me sens ni une intellectuelle ni une philosophe. C’est vrai que les mots sont très importants pour moi, peut être parce que je suis danseuse… J’ai toujours eu de la difficulté à les employer, du coup, ils me fascinent.


Vos textes sont très poétiques, pourtant lorsque vous parlez de danse vous utilisez un vocabulaire très matériel, les pieds sur terre. Sont-ce deux vocabulaires qui s’enrichissent l’un l’autre ?


Oui, pour moi, ce n’est pas contradictoire.

On peut tout à fait avoir les pieds sur terre en ce qui concerne la danse, la matière, et être en même temps complètement dans la tête. Le matériel et l’immatériel ne sont pas deux mondes séparés. Ma fascination pour la philosophie va dans ce sens-là : parce que je suis quelqu’un de terre à terre, j’ai besoin de me projeter dans un monde moins matériel.



Avez-vous le sentiment que la danse dit quelque chose ? Est-elle un langage en soi ou s’inscrit-elle dans le langage ?


La danse est un langage à part, pas toujours perçu comme un langage. Elle constitue même un autre langage que celui des gestes. La considérer comme langage libère la danse. Du coup, le spectateur peut être sûr de son interprétation : il n’a plus besoin de se référer à autre chose. Il peut, en soi, regarder de la danse.


Que transmet la danse ?


C’est une grande question, qui m’intéresse beaucoup. Pour ma prochaine pièce, je travaille sur l’idée d’empathie. Le terme d’ « empathie » a quasiment été créé pour la danse et pour le mime au XIXe siècle. Je crois qu’il y a un lien direct entre la danse et le public, justement parce qu’elle ne passe pas par l’interprétation.

On veut souvent lui ajouter un discours, mais ce n’est pas forcément nécessaire. Je suis au début de ma recherche sur la question.


L’artiste transmet à son public et il transmet aussi à sa descendance. Comment vous situez-vous par rapport à cette transmission des maîtres vers les plus jeunes ?


Je ne me suis jamais senti un maître, ça règle pas mal de questions.

Cependant, en tant que directrice du centre chorégraphique de Montpellier et du fait des moyens dont je bénéficie, il m’a été possible de mettre en place une formation. Les jeunes m’intéressent beaucoup. Ils me raccrochent en permanence au monde d’aujourd’hui et me renvoient des questions beaucoup plus pertinentes que celles des journaux. Je sens que, pour eux, ces questions sont vitales. Leur façon de parler et de danser est pour moi la meilleure expression du monde d’aujourd’hui. C’est pourquoi j’essaie de leur proposer un cadre de travail qui les épanouisse, pas un enseignement strict.



Mathilde Monnier, merci.




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