Du bon usage de la violence légitime
Chienlit
Jusqu'au 8 juin 2020 il y avait les manifestations autorisées.
Légalement demandées et légalement accordées. Parfois, avec les soignants, la police épuisée par les Gilets jaunes perdait ses nerfs et se laissait aller à nasser et gazer la foule pacifique, mais seulement quand ils se sentaient menacés. Il est vrai que les soignants en détresse depuis dix ans et en grève depuis deux criaient fort et les regardaient méchamment. Les Gilets jaunes l’ont appris à leurs dépens : ne pas baisser les yeux peut rendre borgne.
On pouvait se défouler, tirer à vue en tous sens, pourvu que ce soit avec modération et des armes non létales.
Il y avait bien entendu à chaque fin de manifestations les « black blocks » et les casseurs, mais là on laissait faire : les vitrines brisées, les émeutes et les feux de poubelles, ça fait peur au bourgeois. (Précisons que « bourgeois » n'est pas une insulte, sauf s'il est bohème, ce qui fait tzigane. C'est en toute simplicité un habitant du bourg, donc aujourd’hui environ 99 pour cent de la population française. Ne pas confondre avec le petit bourgeois qui est mesquin, et le grand qui a une rollex, une grosse berline allemande noire, une belle maison à Paris, et ne paie plus d'impôt sur la fortune. Au-dessus il y a ceux qui possèdent des yachts et des avions personnels, mais ils sont plus rares, seulement quatre-vingt-treize en France.)
L’art de légiférer
Aujourd’hui, tout est bouleversé : à peine hier, à l'heure du déconfinement où seulement dix personnes pouvaient se réunir, vingt-mille manifestants à Paris contre les violences policières et le racisme, autant en province, ça faisait désordre. La honte.
Faute de ne pouvoir ni les empêcher ni les réprimer, Le ministre de la privation des libertés a donc innové : il a inventé les « manifestations tolérées ».
Les ni ni, ni autorisées ni interdites. Figure du commandeur ridiculisée, Christophe Castaner ne pouvait plus rester, il est donc logiquement remplacé. Le premier flic de France ne peut pas être la risée des minorités visibles et des antiracistes.
Qu’il soit remplacé par un gynophobe présumé innocent des agressions sexuelles et viols dont on l’accuse, pour lesquels la justice le poursuit, est un excellent signal envoyé à la police en « souffrance », à qui on ne pardonne plus aucune bavure, aucune mutilation, ou aucun dérapage raciste. Une belle promesse d’impunité. Ce gouvernement campe fièrement dans les bottes de la casseroloculitude. (Casserole où vous pensez attitude)
De la violence illégitime
On n'imagine jamais la violence que peuvent représenter deux seins nus dans une église orthodoxe, et la détresse d’un pope qui grimpe aux vitraux crosse en l’air. Bien pire, les Kurdes l'ont compris, imaginez qu'un fou de Dieu soit tué par une femme ! Adieu les 70 vierges magiques, l'enfer s'ouvre sous ses pieds, la honte et le déshonneur pour l'éternité. (Les vierges sont magiques parce-que le lendemain de leur défloration pas le valeureux combattant glorieux, elles redeviennent indéfiniment vierges. N'oublions pas que l'éternité, c'est très long). En regard, que pèsent les violences faites aux femmes ? Le nouveau ministre de la justice médiatique en témoigne : les plaignantes arguant de viol ne le font que pour entrer dans l’Histoire judiciaire. Simple effet de manche sans doute.
Le pouvoir du bien dire
Après l’avoir exercé en crétinentiel, nous l’expérimenterons négotientiel, voire subtilentiel.
Avouons sans ambages que ces termes ne sont pas encore admis par l’académie, mais depuis la royale « bravitude » c’est la fête, la fuckitude de l’ortho-langage. Même la Faculté a adopté présentiel et absentiel, ça fait savant. Ou ridicule. En même temps que décomplexé, le langage est devenu impérial : il y a un problème ? Je fais un discours. Une révolte ? Je fais encore un discours. Une épidémie mondiale et pas de masques ? Encore un discours. Une canicule ? Un discours. Les hôpitaux et les soignants sont exsangues ? Un discours et des médailles. Et ainsi, de discours en discours, je change le monde. Au commencement était le Verbe et le Verbe était Macron. Tout par Lui a été fait, et sans Lui n’a été fait rien de ce qui existe. Et le Verbe s’est fait chair, et il a habité parmi nous.
Alléluia.
« Ceux qui, de particulier deviennent princes seulement par les faveurs de la fortune ont peu de peine à réussir, mais infiniment à se maintenir ».
Nicolas Machiavel
De la violence légitime.
Il nous faut bien l’admettre, les démocraties ont encore besoin pour longtemps, très longtemps, de police, de gendarmerie, d’armée et de justice. Là n’est pas le nœud du problème, « car la force est juste quand elle est nécessaire », écrit Nicolas Machiavel. De même que l’obéissance est la force des armées, on n’imagine pas un policier rétorquer quand on lui dit de charger ou de tirer « je ne sais pas, je doute, ça m’interpelle quelque part au niveau du vécu ». Quoique. Nos grands-parents chantaient « Salut, salut à vous, braves soldats du dix-septième (…) vous auriez, en tirant sur nous, assassiné la République ».
Des militaires qui refusent de tirer sur une foule de manifestants désarmés, femmes et enfant au premier rang, c’est rare, mais ça existe. Comme les poissons volants et les milliardaires de gauche. Depuis, on les encaserne tous à l’autre bout du pays. Quoique, tirer aux jambes plutôt qu’au visage, à deux mètres, ce n’est pas impossible non plus. Voire et même tirer à côté. Et même, aux Etats-Unis, mettre un genou à terre.
Nos grands-parents se souvenaient -à l’échelle de l’histoire ce n’est pas si loin- que la rafle du Vel d’Hiv c’était la Police Nationale et la gendarmerie, de 7 à 9000 fonctionnaires mobilisés, et que les gardiens des camps de transit avant les trains pour Auschwitz et autres villégiatures, c’était la gendarmerie Nationale. Tout dépend des ordres donnés.
Un policier résistant est passé la veille avertir : « fuyez, demain c’est la rafle ». Dénoncé par ses collègues, jugé et emprisonné, il a été réhabilité très longtemps après la libération.
Nous pouvons espérer, voire présumer, que tous les policiers ne sont pas racistes, ni suprémacistes blancs, ni fascistes. Qu’en toute sincérité nombre d’entre eux se sont engagés pour défendre la veuve et l’orphelin, assurer la paix publique, servir l’Etat et la population. Ou tout simplement pour avoir un boulot. Que les racistes, les fascistes, les ripoux, les violents et les violeurs sont une minorité qui fait tort aux autres. Ça se mesure, mais le -ou la- sociologue qui l’étudiera n’est sans doute pas encore né, ou née. Confidentiel défense.
Et comment savoir si celui qui vous gaze est un type bien ou un salaud ?
Si l’ordre est juste, obéir est juste. Si l’ordre est indigne, obéir est indigne. L’éthique n’est pas un parasite du chien, ni du policier.
Le code de la fonction publique est clair : « Si un ordre est illégal, le fonctionnaire doit l’exécuter. S’il est de nature à porter atteinte au public ou au service, il doit l’exécuter et le signifier. S’il est illégal et de nature à porter atteinte au service ou au public, il doit l’exécuter et en référer aux autorités supérieures ». On se souviendra que 1968 eut pu être un bain de sang, nous avons dû à la modération et à l’intelligence d’un préfet de la République qu’il n’y en eut pas.
Question : combien de temps un homme intègre peut-il rester dans la police sans être corrompu, débile ou fou quand on lui fait faire le sale boulot ?
N’est pas Jean Moulin qui veut, d’ailleurs celui-là est mort pur, sans tâche, en pleine gloire.
Jean-Pierre Chabrol, écrivain et conteur racontait : « Au maquis, nous étions des gamins. Après la libération avec nos pétoires à la main, nombre d’entre nous ont voulu finir le boulot, traquer Hitler jusques dans son bunker. Après la victoire, certains de ceux qui ont survécu sont entrés dans l’armée française. Ils ont été chassés du Vietnam par le peuple qu’ils occupaient, comme hier les allemands la France. On dit que longtemps après, la nuit, ils hurlaient à la mort. »
Certains disaient que si on laissait l’armée et la police aux « salauds », ce serait pire.
Il y a débat.
Photos et commentaires Jean Barak
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