Philippe Combes est né le 6 aout 1965 à Strasbourg, il a étudié la danse auprès de Joseph Russillo et Régine Chopinot, puis il a intégré le Ballet Preljocaj. Comme chorégraphe il a été particulièrement remarqué dès "Minotaure", seconde parmi ses neuf pièces écrites de 1999 à 2009.
Il nous a quitté brutalement en pleine force créatrice le 26 avril 2009 à Plaisance où il avait installé sa compagnie: "Cave Canem".
Philippe, nous venons de voir « Le minotaure », c’est une pièce forte. Peux tu parler du mythe ?
Oui. Un monstre est issu des amours du roi de la mer avec la femme du roi Minos, Pasiphaé transformée en génisse. Minos cache la bête au fond d’un labyrinthe construit par dédale. C’est une métaphore de l’inconscient. La bête est le symbole de la honte, le monstre, c’est la honte. C’est une danse animale entre trois personnes qui luttent pour leur survie.
La fin du mythe telle qu’on peut la concevoir c’est quand Nathalie tire John sur le sol. Que John soit un homme ou une femme, peu importe, un être est mort. Après, la danse est comme une bulle d’air, comme une porte qui s’ouvre. Ce qui est très important pour moi c’est que je propose des voies, des guides, mais je ne veux pas dire ce que j’ai voulu dire. Je ne donne pas les clefs, c’est à chacun de se créer sa propre lecture.
Pas celle du mythe, c’est la tienne, mais à chacun de lire dans ta propre lecture ce qu’il peut y trouver...
Exactement. Il y a quelque chose qui n’est pas fixé dans la danse. Je leur dis « Si vous voulez faire un peu moins de danse, dans un pas, ou une coupe, ou quelque chose en double, vous pouvez le faire, c’est le fait de vivre l’instant présent.
Je n’ai pas l’impression que c’était à l’identique hier…
C’est très bien. Il y a vraiment quelque chose qui bouge, quelque chose qui est meuble. Ce n’est jamais la même pièce, on ne la voit jamais de la même façon.
D’un point de vue technique il y a dans la façon dont les danseurs s’articulent quelque chose qui est très proche de l’aïkido.
Oui.
Est-ce une confluence ou as-tu travaillé avec des maîtres ?
Non, rien.
Tu retrouves dans la danse les articulations autour du vide de l’aïkido sans l’avoir étudié…
Effectivement. En regard de toutes les clefs ce que j’ai voulu faire très simplement c’est partir de la bête qui charge. Il y a des clefs, il y a des charges. Après, dans la danse, j’aime profondément les choses lentes. C’est vrai que c’est assez prés de l’aïkido.
C’est d’une extrême technicité…
Exactement.
Dans cette précision du mouvement, les équilibres, les ruptures d’équilibres, ce travail sur les poussés repoussés, mais c’est toi qui devrait dire ça, pas moi !
C’est très bien que tu le dises, comme ça je vois un autre point de vue sur la pièce. L’aïkido c’est très plein, c’est assez lent, les mouvements sont effectués comme si les corps étaient plongés dans l’eau. Les corps bougent, mais tout ce qui est autour vit beaucoup. C’est ce que j’aimerais que les gens voient ou perçoivent. C’est un réel travail du corps, de la matière, ça ne peut se faire que dans une certaine lenteur.
La gestuelle et les costumes font penser à des gladiateurs romains, je suppose que c’est voulu ?
Bien sûr. Parce que au départ c’est très beau. Ce ballet est comme une espèce de mue, c’est une recherche d’un centre psychique spirituel, il part d’un point où tout est beau, propre, carré. La terre est un carré très clair, tout est très propre, et petit à petit on transgresse cette beauté qui n’est qu’apparente. Avec la terre on devient sales, mais peut-être un peu plus pur. La vie fait qu’on traverse des périodes, des épreuves, et que peu à peu on arrive au centre de quelque chose. C’est profondément humain.
Ca évoque aussi l’univers désespéré d’Enki Bilal.
Bien sûr. Evidement.
Pourquoi, « Bien sûr » ?
C’est un univers froid, violent, les personnages sont très durs, mais pour moi les personnages d’Enki Bilal sont humains, profondément humains. Là, c’est la bête.
Il n’y a pas tellement de place pour la tendresse…
Hé bien c’est très bizarre, les hommes qui viennent voir la pièce disent que c’est violent et toutes les femmes disent que c’est très tendre.
Cette fusion entre les deux femmes est très érotique, mais c’est peut être du phallocentrisme. Les femmes se reconnaissent peut-être dans la tendresse de la rencontre entre le féminin et le féminin.
Exactement. Chacun voit d’où il est. Je voulais que les deux filles dansent ensemble parce que le rapport de poids et de force est à peu prés le même, un homme et une femme ça aurait été autre chose. On pouvait aller très loin dans cette fusion où on avait un et un de même poids et de même forme, deux êtres vraiment très proches l’un de l’autre, égaux, et de voir ce qui naît entre deux forces égales qui vont l’un vers l’autre.
En même temps, dans cette fusion les deux êtres s’annulent
Ils s’annulent, effectivement.
En ne faisant plus qu’un c’est une immobilité proche de la mort, et le tiers qui vient introduire la séparation ramène à la vie
Tout à fait, ce duo est proche de la fin, et plus on va vers la fin, plus la mort est là.
Le public était particulièrement enthousiaste !
Je crois. Je suis très heureux, ça marche très bien. Le groupe est très bien, c’est très important.
Est-ce une écriture collective ? Quelle est ta part ?
Les thèmes. Dans le trio, les trois danses où ils sont très proches, j’ai fait trois phrases et je leur ai proposé de faire des coupes où ils voulaient, de les transformer, de les manger, de les digérer, de les régurgiter, à leur sauce.
C’est très important pour moi : en tant que danseur je trouvais qu’il y avait un manque cruel d’échanges entre le chorégraphe et le danseur. Là nous avons travaillé longtemps sur ces trois phrases. Il les ont prises, ils ont fait des coupes , mis des sauts ou des tours là où ils voulaient, il y a eu trois ou quatre allers retours, j’aime vraiment ça.
Tu es le Deus ex machina et en même temps c’est un travail collectif.
Voilà.
Tu as ta propre compagnie et tu danses encore chez Angelin Preljocaj
Oui, mais je m’en vais. Je vais essayer de voler de mes propres ailes.
Merci Philippe.
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