Ce lundi 8 mars 2021, la révolte des femmes a grondé dans les rues de Marseille. En haut de la Canebière à 15 heures, et au Vieux-Port depuis 14 heures, jusque bien après le couvre feu. Pourquoi deux cortèges? La première manifestation autorisée et sage regroupait les "institutionnels", disons en allant vite la gauche traditionnelle organisée, le rassemblement du Vieux-Port toutes les mouvances libertaire. Ce dernier rassemblement était également autorisé, mais la malignité des "activistes" avait concocté en secret une manifestation sauvage, dès l'heure du couvre-feu. La moyenne d'âge des premiers marcheurs était nettement plus élevée, celle des seconds résolument juvénile. Bien plus d'hommes en proportion dans le cortège traditionnel, mais tout de même pas la parité, et à la louche, bien un homme sur dix manifestantes au Vieux-Port. (d'accord, d'habitude le masculin l'emporte, mais c'est justement ce qui les met en colère). C'est peu, mais ces hirondelles appellent un printemps: il fut un temps ou tout homme était totalement exclu d'une assemblée féministe. Pourtant, des hommes féministes ça existe, même s'ils ne sont pas totalement exempts de pesanteurs sociologiques, comme tout le monde, femmes et féministes comprises.
Plus de trois cents manifestantes pour la première, plus de mille deux cents pour la seconde. Divisez par deux pour la police et multipliez d'autant pour les organisateurs. Il n'empêche, plus de 1500 personnes pour revendiquer l'égalité de droits entre hommes et femmes un lundi à Marseille, c'est loin d'être négligeable.
Pour les revendications, nous ne paraphraserons pas l'excellent argumentaire de "Mille Babords", autant aller directement à l'original.
"La femme n'existe pas" professait Jacques Lacan. (Ce qui peut s'entendre comme "il n'y a pas d'archétype de la femme") .Mais comme elles ne le savent pas, elles se révoltent. Ca déborde de toute part, Il y a de quoi. D'ailleurs on dit de moins en moins la journée de "la" femme, mais la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, proposée en 1910 par Clara Zedkin, à commencer par le droit de vote qui ne sera acté en France qu'en 1944, 25 ans après les Etats-Unis et 19 ans après l'Allemagne. (Ce qui n'a pas pour autant empêché la Seconde Guerre mondiale).
Qui trop embrasse, mal étreint
Deux associations féministes aux idéologies parallèles, mais irréductibles.
Si, pour l'une, le programme cible la prise de pouvoir mondial par la lutte sur tous les fronts, comme le Messie, il est programmé pour ne jamais advenir. Si, pour l'autre, les positions sont d'une rigidité d'acier, ils pourraient bien se retrouver touts seuls, entre soi. (Ou toutes seules si le féminin l'emporte.)
Dissensus
Pour exemple, le voile est emblématique: arguant que le voile est l'expression et l'instrument d'une aliénation, ce qui n'est pas faux du tout, l'une interdit les femmes voilées dans ses rangs. Arguant qu'une femme voilée qui manifeste pour le respect des droits des femmes avec ses sœurs "en cheveux" a fait la plus grande part du chemin vers une libération, l'autre les accepte. Et elle accuse ses consœurs d'islamophobie. (Ce qui ne fait pas grand sens, la phobie étant une terreur engendrée par une situation réellement vécue de catastrophe, le terme est impropre, sauf pour le survivant d'un attentat. Mais comme tout le monde comprend... mal, ça ajoute au malheur du monde. Mais ce n'est pas ici le propos).
L'une est contre la prostitution, elle refuse les associations de défense des prostituées et les slogans qui s'ensuivent. L'autre s'empare de cet étendard, et pour faire bonne mesure, de celui des homos, trans, lgbt, queer, bi, multi et autres, et les place au cœur de son combat. Malheureusement "Pas de féminisme sans les putes" n'est pas très rassembleur. Peut-être eut-il suffit de dire qu'une femme qui se prostitue, quoi qu'on en pense, est avant tout une femme, et qu'à ce titre elle a toute sa place dans un cortège revendiquant le respect de leurs droits. Comme les Sages-Femmes, ni plus, ni moins. Pour les banderoles et la place dans le cortège, depuis que les manifs existent, ça se négocie.
Pour l'anecdote, il y a tout de même un périmètre identifiable: trois jeunes hommes exaltés qui intègrent la tête du cortège en criant "et un, et deux, et trois, Algeria" comme au stade Vel sont reconduits fermement sur le trottoir.
y a certes des hyperactives qui peuvent lutter sur tous les fronts à la fois, mais elle sont rapidement seules sur des sommets himalayens.
Il n'empêche, la liberté iconoclaste, désordonnée chantante et festive, est à l'heure des protocoles en folie bien plus attirante que la revendication à la papa avec service d'ordre. La jeunesse rue dans les brancards, heureusement.
Il est assez plaisant de voir dix C.R.S. inébranlables qui barrent une rue, débordés de toutes parts comme un torrent à travers les rochers, transformés en statues de sel et dissous dans la masse. Le mur de camions et de C.R.S. qui barraient le chemin de la Préfecture étant infranchissable, le cortège a pris une rue adjacente. Rendu devant sa destination secrète, le Palais de Justice, la promesse de tout casser et de mettre le feu s'est heureusement transformée en slogans, "Tout le monde déteste la police", et "Flics, violeurs, assassins". Impavides, les vingt CRS n'ont pas bronché, sauf celui qui avait un LBD incongru, particulièrement nerveux. Il ne s'en est pas servi, bien lui en a pris: à tirer sur mille féministes en colère, dans le meilleur des cas il aurait été émasculé.
Au bout du compte, moins il y a de police, moins il y a d'incidents.
On ne fume pas dans une poudrière, et la révolution féministe ne fait que commencer.
Qu'on se le dise!
Photos et commentaires Jean Barak
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