Une guerrière au Pavillon Noir
Révolution
On ne sait trop si elle soulève des questions, mais alors au pied de biche. Ceci n'est pas un jeu de mot, elle tient plutôt de la pétroleuse, de la Pasionaria. Ou elle soulève des interrogations: "Ça sort d'où? C'est quoi? Elle se fout de nous? Ça veut dire quoi? A quoi ça ressemble? Elle va où? "
Elle dynamite tous les codes, toutes les conventions, et toutes les idées reçues. On avait tout vu depuis que la danse contemporaine est apparue, mais pas ça.
Ça commence comme un concert de Mylène Farmer, avec bouchons d'oreilles distribués à l'entrée, qu'elle mime comme on ferait quand on se lâche, quand il n'y a personne, devant son miroir avec la brosse à cheveux pour micro. Mais là il y a le public. Une sorte de play-back à tue-tête, une danse survoltée avec paillettes et lycra flamboyant. Littéralement, elle grimpe aux murs des rampes de lumières.
Farmer, qui est devenue en une seule chanson l'icône de cette frange androphobe du féminisme avec "sans contrefaçon je suis un garçon", rejoignant cette part de la science à la pointe du patriarcat capitalistique, qui permet de faire des bébés sans homme, in vitro, aux frais de la sécu. Mais à l'exacte symétrie des adeptes de la fécondation in vitraux: les enfants ça allait encore tant qu'ils se taisaient, mais le Monseigneur Archevêque de Paris vient d'être démissionné. Tentez d'imaginer: il y a douze ans il avait frayé avec une créature du Diable! Une femme! Mais là nous sommes hors sujet.
Puis "ça" vire à la soirée disco chimique, on se demande ce qu'il y a dans la canette qu'elle boit régulièrement. Une énergie folle qui va crescendo, qui vous tétanise.
Ring
Le dispositif bi-frontal en lui même n'est pas nouveau, c'est même devenu un classique de la déconstruction. Il impose une proximité troublante, jusqu'au contact accidentel ou savamment calculé, au geste de tendresse diversement ressenti. Puis elle disparait et revient habillée à la diable en boxeuse, elle se collète avec des textes mythiques de la philosophie, en play-back. On y reconnait au hasard Gilles Deleuze au collège de France, André Malraux, débattant de la vie, la mort, l'amour et la haine, le couple et la solitude. Vous ne savez déjà plus où vous êtes, mais le mime se met à parler, elle incarne le discours, et vous vous demandez si elle n'aurait pas -d'aventure- un master de philosophie. Puis elle disparait, et l'absence s'installe. Avec un vague fond sonore. La grande peur du "blanc" à la radio, transposé à la danse, comme jadis au théâtre dans "L'acteur Loup" d'André Bénédetto. Quel trou dans le réel l'absence produit-elle? Elle revient écouter au garde-à-vous l'hymne des féministes, afin que nul n'en ignore, avant de se jeter dans une danse du diable dont vous ne saurez-rien ici, ni le poids des mots ni le choc des images, ce serait trop facile.
Un sabbat endiablé de sorcière contemporaine.
On ne s'étonnera pas qu'elle fut une danseuse exceptionnelle, par sa force, son énergie sa beauté et sa technique époustouflante, il suffit de se souvenir qu'elle a dansé notamment pour Thomas Lebrun, Olivia Grandville ou Boris Charmatz, avant de se lancer seule.
Elle vous laisse knockout, avec toutes vos idées reçues en ruines, débrouillez-vous avec ça, elle fait le ménage par la technique de la terre brulée. Il est, parait-il, des terres brûlées...
Ça continue de vous travailler longtemps, éjecté de votre zone de confort.
Si vous l'avez ratée au Klap juste avant le couvre-feu, puis au Pavillon Noir, juste avant la quatrième vague, il ne vous restera plus qu'à attendre son retour.
Il y a fort à parier qu'elle revienne bientôt ici où là, et c'est pleinement justifié.
Photos et commentaires Jean Barak
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