On les a vus au Cirque Phare, à Battambang, ils étaient huit. Bien plus tard, il y a peu, Ils ont joué à guichet fermé à la Criée avec "Möbius". Dès l'ouverture de la billetterie tout était vendu. Ils ont tourné dans le monde entier avec "Il n'est pas encore minuit", toujours ovationnés. Ils étaient de nouveau programmés en 2020 avec leur dernier spectacle, "Möbius", au Théâtre de l'Olivier, mais il y a eu quelques contretemps.
Les acrobates les tiennent pour les plus grands, les fondateurs indépassables de l'acrobatie contemporaine. A raison.
XY: « j'ai dix ans ».
Fondé en 2005 par Abdel Senhadji et Mahmoud Louertani, le collectif XY à eu dix ans en 2015. Parti à six, il compte aujourd'hui vingt deux acrobates, dont six aériennes.
Le nom de la Compagnie n'est pas anodin, il y est question de chromosomes. Nous en comptons également 22, qui déterminent notre appartenance à la même espèce, nombres de nos traits, et en particulier la sexuation. XX pour la Femme, XY pour l'homme. Il semble que la différence ne simplifie pas les rapports, mais qu'elle seule les rende possible. Sans elle, l'humanité disparaitrait, rien n'est simple.
De là se fonde leur propos.
Chiffonniers
Ca commence par une bagarre de chiffonniers. Immanquablement deux ou trois bébés éclatent en sanglots, pas besoin de sous-titrages. Au mieux il faut les rassurer, ou partir, ils ne s'éteignent pas comme des portables. Mais les agressivités s'émoussent, les tensions se calment, le swing de Harlem des années vingt réunit les danseurs qui font groupe. C'est le Lindy Hop, il canalise encore les énergies et crée du lien.
Voyager léger
Il n'y a aucun décor, « On voyage léger » dit Abdel, seulement avec des catapultes et les « planches sauteuses » qu'ils ont inventé. Elles forment des plateaux, des pièces montées ou des bases éjectables. Multipliant les banquines à couper le souffle -des projections à mains croisées par deux porteurs- les figures inventées improbables comme les trajectoires déviées, les colonnes à quatre ou cinq, c'est un feu d'artifice de voltigeurs. Le spectacle est -c'est peu dire- exceptionnel, mené tambour battant.
En principe ça ne se fait pas pendant un spectacle, mais le public applaudit tout du long à s'en abimer les mains, il faut bien soulager la tension.
Utopie
Mais ce qui fait la marque de la Compagnie XY c'est l'utopie du collectif, qu'ils font vivre contre toute attente. Quand dans l'ordinaire trois personnes constituent deux groupes antagonistes, ils réalisent une forme de vivre ensemble qui perdure et fait envie. C'est trop beau pour y croire, et pourtant. Le groupe ne gomme pas l'ego, le sujet, l'individu, mais il peut y trouver sa place, s'il sait la créer. Bien plus qu'un spectacle, c'est une leçon de vie, un équilibre instable à toujours réinventer. Leur spectacle est chargé de sens et d'émotion.
Le public applaudit debout, tape des pieds, crie et siffle, longuement, pour les retenir.
Leur message est passé: « Tout seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » disent-ils.
Mieux, ça ne peut pas exister.
Comme tous les artistes ils se tiennent prêts, pour quand nos protocolisateurs fous auront perdu la guerre à la culture. On l'attendait pour le printemps mais ils l'ont pourri, pour l'été on ne sait pas encore, mais nécessairement ce jour viendra. La culture est un Phénix qui renait toujours de ses cendres.
Photos et textes Jean Barak
Comments